
Par Isabelle Speerin
Au cours des 50 dernières années, l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (CMRRA) s’est révélée une alliée fiable pour la communauté des éditeurs de musique. Dans une entrevue, Gary Furniss, de Sony Music Publishing, et Jennifer Mitchell, de Red Brick Songs, discutent des réalisations de la CMRRA et des défis qui l’attendent. Tous deux font partie du conseil d’administration de la CMRRA, dont M. Furniss a été le président de 2007 à 2017.
Il y a plus de 20 ans, la CMRRA a fait preuve d’audace en entrant dans l’ère numérique et en concluant des ententes de licence de droits numériques par le truchement de négociations directes avec des plateformes telles qu’iTunes. Lorsque celle-ci a tenté d’adopter le modèle américain de paiement des redevances mécaniques numériques aux éditeurs de musique par l’intermédiaire des maisons de disques dans le cadre d’une licence « pass-through » (ou licence indirecte), la CMRRA a résisté, exigeant des paiements directs aux éditeurs au Canada. Cet accord historique a eu un effet boule de neige, les redevances numériques représentant aujourd’hui 90 % des revenus de la CMRRA.
Selon Mme Mitchell, on ressent aujourd’hui un sentiment de gratitude et d’appréciation pour l’ampleur de cette négociation de 2004, même de la part de nos voisins du Sud, qui regrettent de ne pas avoir suivi la même voie. « En configurant correctement iTunes, nous avons préparé le terrain pour toutes les nouvelles technologies à venir », fait-elle remarquer.
M. Furniss reconnaît qu’il était essentiel d’attendre la meilleure offre : « Cela nous a permis d’obtenir des tarifs plus élevés et de garantir le paiement direct des éditeurs, sans intermédiaire. Bien que ce processus ait été ardu, il s’est avéré déterminant pour l’avenir de l’édition musicale au Canada. »
Avec l’évolution des technologies de diffusion en continu, Mme Mitchell souligne que « le Canada a été l’un des derniers pays occidentaux où les principaux services numériques ont été lancés, et nous avons mené des négociations plus difficiles pour garantir le respect des droits d’édition, ce qui nous a permis d’obtenir des taux parmi les plus élevés au monde ».
Le processus de négociation ne s’est pas fait sans heurts. M. Furniss se souvient de la pression intense exercée par les acteurs du secteur, qui étaient impatients de voir l’accord finalisé. « Les auteurs-compositeurs, auteures-compositrices et éditeurs souhaitaient également que leur musique soit accessible sur les plateformes numériques, explique-t-il. Nous avons dû nous défendre et expliquer que nous faisions cela pour protéger leurs droits à long terme. »
La CMRRA a démontré son engagement envers les éditeurs une nouvelle fois en 2011 lorsqu’elle a assuré le travail d’administration d’un règlement de recours collectif pour les redevances impayées par les principales maisons de disques canadiennes. Ce règlement comprenait une série de distributions progressives des montants du règlement en fonction des parts d’œuvres musicales licenciées et réclamées individuellement, par le truchement d’un portail de réclamations sur mesure. « La création de ce portail à partir de zéro a été cruciale, car elle a montré que la CMRRA était capable de prendre les devants et de jouer un rôle de chef de file, d’affirmer Mme Mitchell. Il s’agissait de veiller à ce que chaque éditeur et compositeur, quelle que soit sa taille, reçoive ce qui lui est dû. »
Le lancement, en 2015, du système de licences et de répartition des redevances de la CMRRA (LDS) a marqué un tournant majeur dans la distribution des redevances, grâce à des capacités de concordance améliorées et au traitement de volumes de données importants.
« Cette mise à niveau était cruciale pour les éditeurs indépendants, rappelle Mme Mitchell. Les relevés détaillés et le traitement fiable des données ont grandement simplifié la gestion de nos redevances. Il s’agissait d’une mise à niveau nécessaire du système qui a permis à la CMRRA de se positionner en tant que leader dans ce domaine. »
M. Furniss affirme que le système LDS a permis à la CMRRA de faire un bond technologique majeur : « Le volume de données que nous traitions a connu une croissance exponentielle. Nous avions besoin d’un système capable de traiter ces données de manière efficace et précise, et LDS a répondu à nos attentes. »
Furniss se souvient du partenariat de 2016 avec SoundExchange comme d’un autre événement particulièrement marquant des cinq décennies d’existence de la CMRRA : « C’était une initiative majeure pour le conseil d’administration et un changement important pour l’avenir. » Il a ajouté que SoundExchange s’est montrée exceptionnelle en saisissant bien les besoins des éditeurs de musique canadiens.
« Le partenariat avec SoundExchange a aidé la CMRRA à s’adapter et à suivre le rythme de la technologie, et a permis de fournir un plus grand nombre de services de soutien à la gestion, d’ajouter Mme Mitchell. C’était une décision importante pour le conseil d’administration, et elle s’est révélée bénéfique pour la croissance de l’agence. »
Furniss et Mitchell insistent tous deux sur le fait que les grands éditeurs et les éditeurs indépendants ont travaillé ensemble à la réalisation d’objectifs communs au cours des 50 dernières années, avec le soutien indéfectible de la CMRRA. « Nous avons toujours collaboré efficacement, avec l’objectif commun de maximiser les revenus des auteurs-compositeurs, auteures-compositrices et éditeurs au Canada », explique M. Furniss.
« Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il y ait un fossé entre les grandes maisons de disques et les maisons de disques indépendantes, renchérit Mme Mitchell. Je pense que nous sommes tous et toutes dans le même bateau. Je crois aussi que l’industrie canadienne de l’édition musicale se distingue par son esprit de collaboration. Nous avons toujours partagé la même tente, travaillant à des objectifs communs. C’est une fierté pour nous tous et un facteur clé de notre succès. »
Interrogé sur le legs de la CMRRA, M. Furniss parle des premiers visionnaires de cet organisme : « Nous devons une fière chandelle à Cyril Devereux et à Al Mair, qui ont perçu l’importance et la singularité de l’industrie canadienne par rapport à d’autres territoires, et qui ont eu la clairvoyance de former le conseil d’administration avec des personnes partageant les mêmes idées. Sans eux, nous ne serions pas là aujourd’hui. » Mme Mitchell est du même avis : « Finalement, la CMRRA, c’est vraiment l’histoire d’une collaboration fructueuse, et nous sommes convaincus que l’agence continuera de prospérer dans les années à venir. »
Quant à l’avenir, Furniss et Mitchell envisagent tous deux l’expansion de la CMRRA sur de nouveaux marchés. « Grâce à son expertise actuelle, elle peut désormais étendre ses services au-delà du Canada, et même jusqu’aux États-Unis, hors des limites de la Mechanical Licensing Collective », avance Mme Mitchell.
M. Furniss croit que la CMRRA est en mesure de relever les défis et de saisir les occasions en continuant de collaborer étroitement avec les éditeurs de musique, les auteures-compositrices et les auteurs-compositeurs ainsi qu’avec les autres acteurs de la création et de l’industrie.
Ils soulignent tous deux l’importance de rester à la fine pointe des avancées technologiques. « L’avenir reste imprévisible, mais nous sommes convaincus que la CMRRA possède l’équipe et les ressources nécessaires pour surmonter ces défis », conclut Gary Furniss.
La CMRRA voit toujours grand : sa contribution à l’innovation reste plus forte que jamais. Avec des assises solides fondées sur la collaboration et l’engagement à protéger les auteurs-compositeurs, les auteures-compositrices et les éditeurs, l’organisme est prêt à faire face aux enjeux qui accompagneront l’évolution du paysage de l’industrie.