Par Isabelle Speerin
Rares sont les personnes qui parviennent à cumuler aisément trois emplois dans l’industrie musicale et à rester saines d’esprit à la fin de chaque semaine, mais Kim Temple, vétérane de l’industrie musicale, en est capable. Quelle que soit la casquette qu’elle porte — éditrice, reine de la synchronisation ou mentore —, la passion de Kim pour l’industrie émane d’un seul et même désir, celui de soutenir et d’encourager les auteurs, les artistes et les compositeurs.
« J’adore mon boulot. Je suis tellement passionnée que, lorsque je me réveille le matin, instantanément, je suis enthousiaste et je planifie ce que je vais faire ensuite », confie-t-elle.
Tout a commencé simplement : Kim Temple a pris des leçons de piano durant son enfance à Toronto, puis a joué de la batterie pendant ses études à l’Université McGill à Montréal. Sa dextérité à la batterie l’a amenée à se joindre au groupe de rock alternatif montréalais Bodega, dont ont fait partie Leslie Feist et Sam Goldberg Jr., de Broken Social Scene. Temple passe quatre ans avec Bodega, dont le premier album a été en nomination pour le Meilleur album alternatif de l’année aux Prix JUNO en 1999.
« Je suis tombée amoureuse de la batterie, lance-t-elle. J’avais une certaine indépendance parce que ma mère était professeur de danse et que je faisais beaucoup de sport, alors la batterie s’est imposée naturellement à moi. »
Entre les concerts et un travail de barmaid, Kim Temple passait ses journées à travailler dans le domaine de la production cinématographique et télévisuelle, ce qui lui a donné un aperçu du monde de la synchronisation et des placements musicaux. Le groupe Bodega s’est finalement dissous et Temple a noué une relation professionnelle avec Marty Simon, compositeur canadien pour le cinéma et la télévision puis fondateur de Music Revenue Data (MRD). MRD représente certains des plus grands compositeurs de films et d’émissions télévisées à Los Angeles et à Toronto, et Mme Temple estime que Marty Simon lui a tout appris sur l’édition musicale.
« L’un des temps forts de ma carrière a été lorsque Mychael Danna, l’un des compositeurs que nous représentions, a remporté un Oscar pour L’histoire de Pi », se souvient-elle. Il m’a dit : “Voilà, prends-le !” »
Mme Temple supervise maintenant la synchronisation et l’octroi de licences chez Six Shooter Records, une maison de disques indépendante de Toronto, détenue et dirigée par des femmes, dont le modèle d’affaires est centré sur l’artiste. Six Shooter accueille les artistes July Talk, NYSSA, Whitehorse, William Prince et la chanteuse de gorge inuk Tanya Tagaq, récemment honorée aux Canadian Sync Awards 2023. Au cours d’une journée type, elle jongle avec tout, des accords avec les compositeurs aux pitchs créatifs, en passant par la gestion des métadonnées, les enregistrements de droits d’auteur et la participation à des événements de l’industrie.
Kim Temple dirige également une entreprise cocréée juste avant la pandémie avec la fondatrice de Six Shooter Records, Shauna de Cartier. « Elle et moi avons décidé de créer High Priestess Publishing afin que je puisse recruter ma propre liste d’auteurs, autrices, compositeurs et compositrices, et travailler avec tout ce monde de manière plus créative », explique-t-elle.
High Priestess propose une liste diversifiée d’auteurs-compositeurs et autrices-compositrices totalement en phase avec ses valeurs fondamentales visant à soutenir les communautés d’artistes LGBTQ2S+ et racialisés. L’autrice-compositrice-interprète torontoise Witch Prophet et l’artiste James Baley, primé aux JUNO, font partie de la quarantaine de créatrices et créateurs de musique indépendants avec lesquels Temple travaille. « Nous venons également de mettre sous contrat quelqu’un d’incroyable dont le rock pagan-punk est sur le point de prendre le monde d’assaut », s’enthousiasme-t-elle. Eh bien oui, nous avons consulté le tarot ! »
L’un des outils préférés de Kim Temple en tant qu’éditrice de musique est le Portail des œuvres n’ayant pas fait l’objet de réclamations de la CMRRA, qui permet aux utilisateurs et utilisatrices de rechercher des correspondances entre les enregistrements de la base de données et les œuvres de leur répertoire. « La CMRRA est une ressource extraordinaire pour les éditeurs, affirme-t-elle. Mon équipe utilise régulièrement ce portail pour enregistrer des titres, rechercher des répertoires et obtenir des licences pour les chansons reprises par nos artistes. »
Lorsqu’elle n’est pas chez Six Shooter/High Priestess, Mme Temple supervise le programme national d’accélération Women in the Studio des Éditeurs de musique au Canada (ÉMC), conçu pour éliminer les obstacles qui existent dans l’industrie de la musique pour les femmes productrices, qu’elles soient de genre fluide, non binaires ou non conformes au genre. « Nous prenons en main ce groupe d’autrices-compositrices sous-représentées, nous les intégrons à une communauté et leur donnons des outils, des ressources et des mentors », explique-t-elle.
Le programme d’une durée de six mois offre aux participantes une série d’ateliers, d’occasions de réseautage, de séances de formation et de développement de l’esprit d’entreprise. La formule de mentorat, qui en est à sa cinquième année d’existence, porte ses fruits : d’anciennes mentorées s’inscrivent pour encadrer la prochaine cohorte de participantes. « Un grand nombre de nos diplômées, qu’il s’agisse d’Isabelle Baños à Montréal ou de Sarah MacDougall à Londres, ont fait de grandes choses et ont ouvert leurs propres studios », constate l’entrepreneure.
Elle souligne qu’il est plus facile que jamais, depuis l’ère numérique, pour les créateurs et créatrices d’écrire, d’enregistrer et de se produire, en particulier pour ceux et celles qui viennent de groupes marginalisés : « On trouve des leçons gratuites, des tutoriels, des classes de maître et des webinaires au cours desquels des professionnels prodiguent des conseils de production en ligne. Cela se démocratise beaucoup. »
Le paysage musical s’est également ouvert géographiquement grâce à des outils de traduction sophistiqués qui utilisent l’apprentissage automatique pour aider à toucher les publics mondiaux : « Les autrices-compositrices et auteurs-compositeurs canadiens ont ainsi plus de possibilités d’entrer en contact avec leur base d’admirateurs et d’admiratrices dans le monde entier. Mes propres enfants ont été exposés à la J-Pop, à la K-Pop et au rap punjabi. »
Bien que de nombreux membres de l’industrie craignent l’IA, Kim Temple estime que c’est un outil à exploiter pour aider artistes et éditeurs à être plus efficaces et à faire des choix plus éclairés. « L’optimiste en moi préfère penser aux possibilités et aux occasions que l’IA peut apporter plutôt qu’aux aspects négatifs », de conclure Kim Temple.
Temple s’investit dans la communauté musicale et siège actuellement au comité consultatif sur la musique de la Ville de Toronto, où elle oriente le conseil municipal sur les moyens de renforcer et de développer l’industrie musicale de la Ville reine. Lorsqu’elle ne joue pas au hockey dans la ligue de musiciens et musiciennes Exclaim !, elle passe du temps à écouter en boucle des génériques de télévision et des bandes originales de films de toutes les époques.
Pour en savoir plus sur Kim Temple, visitez highpriestesspublishing.com ou sixshooterrecords.com.