L’esprit d’entreprise a toujours animé l’éditrice de musique Jennifer Mitchell. Tant à la tête de ses deux sociétés d’édition musicale indépendantes canadiennes couronnées de succès que dans toutes ses autres entreprises — descente en eau vive sur le Zambèze, natation en Amazonie, escalade du Kilimandjaro ou lutte pour les droits des auteurs-compositeurs canadiens —, elle n’abandonne jamais.
« J’aime relever des défis, confie-t-elle. Certains sont physiques ou professionnels. D’autres représentent le défi de toute une vie. »
Originaire de South Porcupine dans le nord de l’Ontario, Jennifer décide, dès la fin de ses études secondaires, d’aller étudier en droit à l’Université Queen’s, puis à l’Université de Windsor. Aspirante avocate fiscaliste, elle commence sa carrière à la fin des années 1990 chez Farano Green, un cabinet d’avocats de Toronto spécialisé en droit fiscal ainsi qu’en droit du divertissement, des médias et des communications. À titre de stagiaire, Jennifer collabore étroitement avec Edmund Glinert, avocat de divertissement bien connu qui œuvre dans l’industrie musicale depuis 25 ans et dont la liste de clients inclut Ray Charles, David Letterman, et Jim Carey. Au fil du temps, elle se trouve de plus en plus au croisement du droit fiscal et du droit du divertissement.
« Ed avait besoin de remplacer l’un de ses avocats qui avait démissionné. J’aimais tellement le droit du divertissement que j’ai décidé de tenter l’aventure », raconte-t-elle.
Jennifer travaille pour Edmund à titre privé pendant de nombreuses années. Puis, en 2001, les deux décident de se lancer à leur compte comme éditeurs de musique. C’est ainsi qu’ils créent Casablanca Media Publishing. « Nous envisagions depuis un certain temps de travailler non plus comme avocats, mais comme éditeurs de musique dans notre propre entreprise médiatique, explique-t-elle. Cette transition s’est faite tout naturellement pour moi, compte tenu de ma nature entrepreneuriale. » Ensemble, ils fondent la plus grande société d’édition musicale indépendante du Canada, qui gère un catalogue enviable de plus de 400 000 titres protégés par des droits d’auteur nationaux et internationaux. Malheureusement, Edmund meurt subitement d’une crise cardiaque en 2011. Jennifer se retrouve alors seule à la barre de l’entreprise.
« Ed était mon premier et unique mentor : son décès a été un dur coup pour moi, confie-t-elle. J’ai non seulement perdu un mentor ce jour-là, mais également un associé en affaires, ce qui m’a causé bien du souci. » La transition d’une société en nom collectif à une entreprise à propriétaire unique s’avère une dure phase d’apprentissage pour Jennifer : « Du jour au lendemain, j’ai dû m’habituer à prendre seule les décisions, sans débat ni discussion, et à me fier uniquement à mon jugement et à mes intuitions. »
Après le décès d’Edmund, Jennifer crée, en 2012, Red Brick Music Publishing afin de se consacrer presque exclusivement à la signature de contrats avec des auteurs-compositeurs et au développement de nouvelles activités. « Casablanca existe toujours en tant qu’entité. J’en suis toujours propriétaire avec la famille d’Ed, mais j’avais besoin de créer ma propre entité afin de réaliser mes propres projets », explique-t-elle. Les deux entreprises ont leur siège social à Toronto et comptent huit employés, qui s’occupent des tâches administratives et de la gestion d’Artistes et Répertoire (A & R). Certains d’entre eux travaillent d’ailleurs avec Jennifer depuis plus de 11 ans.
Ensemble, ils ont sous-édité des catalogues de Carlin America, 20th Century Fox, Imagem, ABKCO, Concord, Roundhill, Pulse, Music Asset Management, Bug/Windswept, AC/DC, Steve Miller, la succession de Roy Orbison, la succession de John Lennon, Barton Music, Native Tongue, Cooking Vinyl, Budde Music, Words and Music, Bucks Music, Bill Withers, la succession de David Rose et Disney.
Ils représentent également dans le monde entier (par le truchement de la sous-édition ou de l’administration) les auteurs-compositeurs suivants : The Rural Alberta Advantage, You Say Party, Swim Good, Field Mouse, Young Rival, Folly and the Hunter, Teen Daze, ON AN ON, Said the Whale, KASHKA, Cuff the Duke, JEEN, AlphaCub, Gloryhound, Dan Davidson, Nygel Asselin, Aidan Knight, Jeremy Fisher, PS I Love You, The Luyas, The Kings et Andy Shauf.
Jennifer et son équipe signent en moyenne quatre contrats de sous-édition par année. Zanski, un artiste et producteur de musique électronique de Thunder Bay, est le dernier à avoir signé avec eux.
« Nous faisons affaire avec des auteurs-compositeurs en fonction de leur talent, de leur ambition et de leur attitude, explique Jennifer. Ces artistes doivent avant tout être talentueux, mais également être motivés à continuer de croître comme compositeurs et à repousser leurs limites créatives. » Son équipe travaille avec les auteurs-compositeurs en vue d’obtenir des placements nationaux et internationaux, et de favoriser des possibilités de collaboration avec d’autres créateurs, comme des rencontres de coécriture et des vitrines pour les auteurs-compositeurs. « Nous offrons également du mentorat, des possibilités de réseautage, du soutien promotionnel et, s’il le faut, une aide aux auteurs-compositeurs qui se cherchent un gérant, un agent de publicité ou une maison de disque », ajoute-t-elle.
En plus de diriger Casablanca et Red Brick, Jennifer est membre de l’International Association of Entertainment Lawyers (IAEL), de la Canadian Independent Music Association (CIMA), de l’Académie canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement (ACASE) et du Barreau du Haut-Canada. En outre, elle siège parfois au comité consultatif de la Société de développement de l’industrie des médias de l’Ontario (SODIMO), en plus d’être membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des éditeurs de musique (CMPA) et de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).
Interrogée sur les problèmes auxquels sont confrontés les éditeurs de musique, Jennifer reconnaît que l’industrie se trouve dans une période trouble. « Elle est en pleine ébullition, dit-elle, car une réforme du droit d’auteur se déroule partout dans le monde. Il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis pour s’en convaincre. »
Comme un grand nombre de ses pairs, Jennifer croit que les éditeurs de musique et les auteurs-compositeurs se doivent, plus que jamais, de sortir de l’ombre et de faire connaître leur métier.
« Si tout commence par une chanson, dit-elle, il n’en demeure pas moins que la création d’une chanson est un processus laborieux; bien des gens n’ont aucune idée du temps et de l’argent consacrés à une chanson avant que quelqu’un songe à l’acquérir. Ils ne comprennent ni le nombre d’emplois créés, ni le mode de gestion de cette activité, ni la façon dont elle contribue à l’industrie musicale dans son ensemble et à l’économie en général. »
L’édition de musique ne cesse d’évoluer, mais certaines choses ne changent pas.
« En fin de compte, notre tâche revient toujours à gérer des chansons et la carrière d’auteurs-compositeurs. Il faut donc avoir une vision à long terme et respecter le processus d’écriture de chanson, conclut-elle. Un bon éditeur doit savoir tirer le meilleur parti de ses auteurs-compositeurs et faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. »