Par Isabelle Speerin
Originaire de Louisiane, où la musique a une riche histoire et fait partie intrinsèque du tissu de la société, de la rue aux grandes salles de spectacle, Rell Lafargue, président et chef de la direction de Reservoir, a fait du chemin depuis ses débuts dans une fosse d’orchestre.
« Je viens d’une famille de musiciens, explique Lafargue. L’un de mes premiers mentors a été mon oncle Lance Lafargue, un marchand de pianos renommé qui a été intronisé au Temple de la renommée de la musique de la Louisiane. »
À l’instar de son oncle, Rell Lafargue apprend le piano classique dès l’âge de six ans. Il étudiera ensuite en musique à l’Université de la Louisiane, puis à l’Université de Miami, où il obtient un diplôme de maîtrise en commerce de la musique et industries du divertissement.
Pendant ses études universitaires, il est timbalier dans un orchestre classique professionnel. Malgré son amour de l’instrument, il se rend compte rapidement que la vie d’orchestre n’est pas pour lui. « J’ai le souvenir encore très vif d’avoir pensé, après avoir joué Casse-Noisette une cinquantaine de fois pendant toute la période des fêtes au Ballet de Miami, que je ne voulais pas passer le reste de ma vie dans une fosse. »
Lafargue bifurque vers la production, la programmation et la composition. En 1996, il décroche son premier emploi dans le domaine du commerce de la musique, à Pandisc Music, une maison de disques, société d’édition et studio d’enregistrement indépendant de Miami. « J’étais essentiellement chargé du commerce de la musique et des mécanismes de redevances, précise-t-il. J’ai contribué à la conception du système de paiement de redevances qui est devenu la norme utilisée par plus de 200 maisons de disque. »
En 2000, Lafargue reçoit un appel de TVT Records, l’une des maisons de disque indépendantes les plus florissantes des États-Unis à l’époque, qui souhaite obtenir son aide pour moderniser son mécanisme de redevances. « TVT tirait très bien son épingle du jeu pour une petite société indépendante, confie-t-il. Elle avait toutefois mauvaise réputation en ce qui concerne le paiement de redevances, et j’ai été embauché pour changer cette opinion. »
Lafargue est rapidement promu vice-président; il est alors responsable de l’entité d’édition de la société, dont les superproducteurs primés Scott Storch et Lil Jon, notamment, figurent au répertoire.
En 2008, Golnar Khosrowshahi, fondatrice et chef de la direction de Reservoir, sollicite Lafargue pour qu’il l’aide à mettre sur pied les systèmes d’infrastructure, d’administration et d’octroi de licences, et à établir le réseau international qui surveille ses droits d’auteur.
Nous sommes alors en pleine crise financière mondiale.
« À l’époque, beaucoup de sociétés musicales étaient au plus bas, rappelle Lafargue. Des maisons de disque disparaissaient à gauche et à droite. Ça a été une occasion pour Reservoir de procéder à des acquisitions et d’assurer sa croissance. » TVT Music Publishing constituera la première acquisition de Reservoir depuis l’entrée de Lafargue à la barre. La société acquerra ensuite Reverb Music, un éditeur indépendant du Royaume-Uni, ce qui ajoutera au répertoire plus de 30 000 propriétés intellectuelles et une trentaine d’auteurs-compositeurs actifs.
« L’acquisition de TVT a été motivée par l’excellence de son catalogue, affirme Lafargue. Grâce à Reverb, nous avions désormais une solution clés en main pour intégrer un volet créatif complet à la société d’édition. Par la suite, nous avons acquis FS Media, ce qui représente environ 26 000 propriétés intellectuelles. »
De nos jours, Reservoir compte plus de 120 000 propriétés intellectuelles et 26 000 enregistrements originaux, dont certains titres remontent aux années 1920, et des centaines de succès mondiaux. La société emploie une cinquantaine de personnes à Toronto, à Los Angeles, à Nashville, à New York et à Londres. Elle prévoit étendre ses activités à Abu Dhabi au début de 2020.
Parmi les auteurs-compositeurs actifs qui figurent dans le répertoire de la société, citons James Fauntleroy, Ali Tamposi, Jamie Hartman, Sam Sumser, RuthAnne et The Orphanage, sans oublier les artistes interprètes 2 Chainz, Young Thug, A Boogie Wit Da Hoodie, ainsi qu’Offset et Takeoff, deux membres du groupe Migos.
À la fin de l’année dernière, Reservoir a conclu une entente en vue d’amener dans son portfolio la Britannique Blue Raincoat Music et sa filiale Chrysalis Records. « Nous visons à ce que Reservoir devienne une société musicale complète, et non pas seulement une maison de disques ou un éditeur de musique, révèle Lafargue. Appelons cela la convergence des droits et des actifs. »
Invité à parler de la valeur d’une chanson, Lafargue mentionne Take Me Home, Country Roads de John Denver, une chanson pour laquelle Reservoir octroie des licences presque tous les jours. « Tout commence par un enregistrement de John Denver, puis la chanson prend de l’ampleur. Elle est diffusée en continu 200 millions de fois par année ! Sur Spotify, on trouve 438 enregistrements de cette chanson. »
Et d’ajouter : « Cette chanson composée en 1971 est maintenant tellement enracinée dans notre culture qu’elle récolte 200 000 vues quotidiennement sur YouTube, presque 50 ans plus tard. C’est plutôt incroyable. Et très précieux. »
Réfléchissant à ce qui s’en vient dans la prochaine année, Lafargue croit que l’intégrité des données gagnera en importance, surtout pendant la période qui précédera le lancement de la société de gestion collective des licences mécaniques, la Mechanical Licensing Collective (MLC), aux États-Unis, le 1er janvier 2021. « Il y a une grande inconnue dans le domaine des redevances non attribuées aux États-Unis, précise-t-il. Il est crucial que nos données soient exactes, non seulement sur le territoire, mais aussi dans le monde entier. »
Selon Lafargue, la sensibilisation aux droits d’auteur et d’édition est plus élevée que jamais, grâce aux récents changements apportés aux politiques en Europe et à l’adoption de la Music Modernization Act (MMA) aux États-Unis.
« Ce n’est pas une bonne chose que nos auteurs-compositeurs aient une meilleure protection de leurs droits d’auteur aux États-Unis qu’au Canada, indique-t-il. Le pays a l’occasion de poursuivre sur la lancée initiée par d’autres territoires et de renforcer ces droits afin de rattraper le rythme de ce qui se fait ailleurs dans le monde. »
Partageant sa vie entre New York et Toronto, Rell Lafargue est membre du comité d’éditeurs canadiens de la CMRRA.
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