Par Tabassum Siddiqui
Comme beaucoup de ses collègues de l’industrie musicale, Vel Omazic a commencé sa carrière dans la musique par un engouement pour les grandes chansons.
À Hamilton, en Ontario, la ville où il a grandi, Vel Omazic — aujourd’hui directeur général de l’Incubateur musical canadien (IMC), un organisme à but non lucratif de développement professionnel artistique — écoutait constamment les stations FM locales (y compris celles des villes voisines de Toronto et de Buffalo), à l’affût des chansons qui capteraient son oreille.
Cet intérêt pour la radio l’a d’abord amené à étudier le journalisme à l’Université Carleton d’Ottawa avant de se rendre compte qu’il pouvait faire de sa passion pour la musique une carrière.
« À l’époque, avant l’arrivée d’Internet, je n’avais aucune idée qu’il était possible de travailler dans l’industrie de la musique, confie M. Omazic en riant. J’ai vu une offre d’emploi chez PolyGram Records à Montréal. J’ai postulé à la fin de ma dernière année d’études et, à la mi-mai, je commençais à travailler chez PolyGram. En l’espace de deux semaines, le cours de ma vie a basculé de façon inattendue — et me voilà 30 ans plus tard. »
Fort de sa formation en journalisme, Omazic excelle alors dans les domaines de la promotion et de la publicité, rédigeant biographies d’artistes, infolettres et communiqués de presse, et gravissant les échelons au sein du label. Lorsque PolyGram fusionne avec A&M Island Records en 1991, M. Omazic peut retourner en Ontario, avant de se joindre à Sony Music Canada en 1995 en tant que vice-président de la promotion nationale et des relations de presse.
« J’y ai passé 10 années formidables, à l’apogée de l’ère du CD, avant les bouleversements numériques et Napster. Nous avions une belle liste d’artistes canadiens — Céline Dion, Amanda Marshall, Chantal Kreviazuk, Our Lady Peace — et nous étions très actifs à l’époque en matière de développement d’artistes canadiens, se souvient M. Omazic. C’est là que j’ai découvert ma passion pour le développement d’artistes à partir de la base. Cela a toujours été ma partie préférée du métier. »
Son passage dans les grandes maisons de disques à l’apogée de leur domination a influé sur la vision d’Omazic côté promotion et soutien aux talents locaux. « On oublie que la majorité des artistes canadiens qui connaissent aujourd’hui un succès international sont directement engagés par des labels américains. Céline Dion, quant à elle, a été sous contrat directement par le Canada. C’était rare à l’époque, et ça l’est encore plus aujourd’hui. »
Cette période féconde a rapidement pris fin lorsque la disruption numérique — notamment les services de partage de fichiers audio comme Napster — a frappé de plein fouet l’industrie. « Je ne pense pas que nous l’ayons vu venir. Et ceux d’entre nous qui étaient au front au quotidien faisaient du mieux qu’ils pouvaient, mais tout a changé pratiquement du jour au lendemain. C’était un coup en matière de coupes budgétaires et de licenciements — nous ne vendions plus de disques, alors que faire ? L’incertitude planait », rappelle M. Omazic.
Il a fini par quitter brièvement l’industrie musicale et a accepté un nouveau défi en travaillant dans le domaine de l’environnement avant de cofonder l’IMC en 2012.
« Ce qui m’a attiré, c’est de constater les changements dans l’industrie, où soudainement l’accès à l’enregistrement, à l’édition et à la distribution de musique était devenu à la portée de tous, mais il n’en reste pas moins que les artistes ont toujours besoin de savoir ce qu’ils font, dit M. Omazic. Notre motivation était donc de faire en sorte que les artistes, les autrices-compositrices et les auteurs-compositeurs vraiment talentueux ne soient pas noyés dans la masse. Nous ne savions pas nécessairement ce que l’IMC allait devenir. À l’époque, nous nous sommes dit : “Il faut trouver un moyen d’aider.” À partir de là, les solutions se sont imposées au fur et à mesure. »
L’IMC se présente comme une « solution unique de développement professionnel », qui offre aux artistes émergents, aux auteurs-compositeurs, aux agents d’artistes et aux professionnels de l’industrie un développement professionnel, des possibilités de se produire sur scène et un mentorat permanent. « Nous qui travaillons avec des artistes, autrices-compositrices et auteurs-compositeurs indépendants, nous estimons que le succès peut aller de renforcer la confiance en soi au changement de mentalité des artistes pour qu’ils comprennent bien qu’ils sont à la tête de petites entreprises indépendantes, en passant par l’aide apportée aux créateurs et créatrices pour rédiger la subvention qui leur permettra de produire leur premier grand enregistrement. Ou encore de les mettre en relation avec des collaborateurs ou partenaires potentiels. J’appelle cela des “microsuccès” », explique M. Omazic.
« Je pense que l’une des choses dont je suis le plus fier au sujet de l’IMC est notre engagement à ce que toute personne qui entre en contact avec nous par le truchement d’un programme ait accès à un mentorat continu. Ainsi, tout au long de leur parcours, les artistes peuvent communiquer avec nous lorsqu’ils ont besoin d’aide. La porte est toujours ouverte. »
L’IMC s’associe à des groupes clés de l’industrie dans tout le pays pour différents programmes personnalisés, notamment la Master Class Allan Slaight JUNO, qui existe depuis près de 10 ans; le programme d’accélération musicale autochtone de l’APTN; le programme national d’accélération entrepreneuriale Women in Music Canada; le salon vert TD JUNO; la série Love Local Live Music de la ville de Mississauga, et bien d’autres encore. L’IMC met également en relation les programmateurs d’événements avec des musiciens de tous les genres partout au Canada, organisant plus de 1 400 spectacles à ce jour, notamment la série Connexion TD Music, Play the Parks, Indie Fridays au Square Yonge-Dundas, les événements de la Journée nationale des peuples autochtones et d’autres encore.
Vel Omazic précise qu’une partie de ce travail consiste à s’assurer que les artistes comprennent leurs droits en tant qu’auteurs-compositeurs, ce qui implique de travailler en étroite collaboration avec des organismes tels que la CMRRA.
« Je ne connaissais rien à l’édition lorsque j’ai commencé à travailler dans les grandes maisons de disques, avoue-t-il. Il m’a fallu quelques années pour comprendre ce que c’était et ce que cela signifiait dans l’industrie musicale. Lorsque j’étais chez Sony, j’ai eu la chance de me familiariser avec le service d’édition, d’interagir, de poser des questions et de constater le travail qu’on accomplissait pour développer les auteurs-compositeurs. C’est comme ça que j’ai découvert le monde de l’édition. »
« À ce sujet, nous remarquons à l’IMC que la principale lacune en matière de perception de redevances se situe du côté de la reproduction, les autrices-compositrices et auteurs-compositeurs n’étant pas conscients du fait qu’ils disposent de ce droit », mentionne-t-il. Au fil des ans, le personnel de la CMRRA est intervenu dans le cadre du programme d’artistes entrepreneurs de l’IMC pour expliquer en quoi consistent les droits de reproduction et le rôle de la CMRRA dans l’octroi de licences et la perception de redevances pour leur utilisation.
« Lorsque nous avons mis sur pied l’IMC et aidé les créateurs à comprendre comment ils généraient des revenus, les droits sont devenus un élément très important. Au début, nous avons contacté tous les organismes de défense des droits et les avons invités à s’exprimer. La CMRRA a toujours répondu présente et nous a aidés à bien comprendre l’univers des droits de reproduction. » L’IMC a également organisé un événement avec l’Ambassade de France en 2023, au cours duquel des auteurs-compositeurs et interprètes de hip-hop de Paris ont séjourné à Toronto pour rencontrer divers membres de l’industrie, y compris la CMRRA. L’entreprise a également animé un séminaire sur les redevances dans le cadre de la Semaine de la musique country canadienne en septembre, auquel ont participé la CMRRA, la SOCAN, l’ACTRA RACS et Connect Music Licensing.
« Nous essayons de faire en sorte que tous les créateurs et créatrices comprennent que des organismes comme la CMRRA sont un prolongement de leur équipe — qu’en tant que détenteurs de droits, ils ont accès à ces ressources et à ces personnes qui les soutiendront et les aideront à gérer leurs droits, explique-t-il. C’est leur propriété intellectuelle qui leur rapporte des revenus — il faut bien comprendre que, dans la musique, on peut gagner sa vie de multiples façons, et savoir que leurs droits d’auteur continueront à rapporter au fil des ans. »
Le travail de l’IMC pour aider les artistes à développer des carrières durables a retenu l’attention même à l’extérieur du Canada. L’organisme collaborait récemment avec Gatecrash, une agence musicale basée à Mumbai qui fait la promotion de la musique live et a lancé un programme de développement professionnel pour les artistes sur le modèle de l’IMC. « Ils nous ont trouvés sur Internet et nous ont dit : “Nous avons besoin de quelque chose comme ça en Inde.” Ils n’ont pas le luxe d’avoir le même niveau de soutien et de financement des arts que nous avons au Canada, mais il y a tout un bassin de créatrices et créateurs indépendants très talentueux dans ce pays, affirme M. Omazic. Lorsque je travaillais pour les grands labels, l’Inde pour nous c’était l’industrie cinématographique de Bollywood. C’est formidable de voir le pays émerger en tant que marché international majeur. Nous nous sommes rendu compte que les défis auxquels sont confrontés les créateurs et créatrices y sont fondamentalement les mêmes — il y a évidemment une géographie et une culture uniques, mais les enjeux liés à la gestion de sa propre entreprise sont clairement universels. »
Vel Omazic souligne que ces problèmes englobent les défis permanents que suscite l’évolution rapide de la technologie, notamment l’intelligence artificielle (IA). « La musique a toujours été à l’avant-scène de l’innovation disruptive. À l’heure actuelle, je pense que l’IA soulève plus de questions que de réponses, et ce, partout dans l’industrie et auprès des gouvernements, et de la société dans son ensemble — mais, très franchement, cela fait 25 ans que nous sommes confrontés à ce type de changements dans l’industrie. »
L’un des aspects positifs de la disruption numérique est la capacité d’exploiter le pouvoir de la technologie pour accroître l’engagement avec les créateurs et l’industrie, ce qui est essentiel dans les objectifs de l’IMC, selon M. Omazic. « Nous avons dû apprendre très rapidement l’importance de l’engagement. En tant qu’organisme national à but non lucratif, le fait d’être visible, d’être présent pour que les gens puissent communiquer directement avec nous s’est intensifié lorsque nous avons traversé la pandémie, rappelle-t-il. Nous avons commencé par mettre en place nos propres programmes, puis nous avons mis sur pied des programmes personnalisés pour des tiers. Notre division “live” s’est développée de façon organique, et nous nous retrouvons maintenant à organiser des événements pour des entreprises et des personnes qui cherchent à embaucher des talents. Tout a donc évolué à partir d’un mandat de base consistant à aider les artistes, les autrices-compositrices et les auteurs-compositeurs. Nous continuons à chercher des moyens d’ouvrir des portes et de diversifier nos offres de développement professionnel de base. »
Alors que lui et ses collègues de l’IMC continuent à développer différentes façons de soutenir les artistes, Omazic revient sur les fondements de son amour de la musique. Il admet qu’il a souvent du mal à distinguer tous les artistes qui ont bénéficié des programmes de l’IMC pour réussir leur carrière, parce qu’il y en a tant. « Je suis le DJ de la liste de lecture Supported de l’IMC, et y travailler est probablement l’un de mes moments préférés de la semaine. Je la prépare tous les vendredis matin, et je passe en revue et écoute toutes les nouvelles sorties des artistes avec lesquels nous sommes en contact, confie-t-il. Cela me ramène à mes débuts à Hamilton, quand j’écoutais des chansons à la radio. Je suis quelqu’un qui adore la chanson — je suis toujours à la recherche de chansons qui retiennent mon attention, captent mon imagination ou mes émotions. »
Pour en savoir plus sur l’Incubateur musical canadien, visitez le site canadasmusicincubator.com.