par Isabelle Speerin
Arun Chaturvedi aurait pu devenir une étoile canadienne du hockey. Mais, grâce à une difficile décision qu’il a prise alors qu’il était enfant, il est maintenant l’un des producteurs et auteurs-compositeurs les plus en vue du pays. Fort d’une carrière bien remplie, il est aujourd’hui le porte-voix du milieu des auteurs-compositeurs, en sa qualité de président du conseil d’administration de l’Association des auteurs-compositeurs du Canada (S.A.C., de l’anglais Songwriters Association of Canada).
« À un moment, j’ai dû choisir entre le piano et le hockey dans mon horaire très chargé, et j’ai choisi le piano, raconte-t-il. Je m’en souviens comme si c’était hier. Par contre, j’aime encore jouer au hockey à l’occasion. »
Multi-instrumentiste, Chaturvedi a commencé à jouer du piano à l’âge de cinq ans. Il a ensuite appris la guitare et la batterie, puis, à l’adolescence, il jouait dans des groupes de jazz et de rock. Certains se rappelleront peut-être de lui comme du leader du groupe rock moderne Driver, qui interprétait She Laughed at Me, un succès radio de 2006.
Chaturvedi a par la suite atterri chez CBG Artist Development, un studio et incubateur d’artistes qui a guidé la carrière de Chantal Kreviazuk et d’autres talentueux créateurs du Manitoba. « C’est là où j’ai appris la production et le mixage, souligne-t-il. Je pouvais inviter mes propres musiciens la nuit au studio pour composer et produire des chansons. J’ai produit quelques disques qui ont été en nomination aux prix Juno. »
De jour, Chaturvedi étudiait les sciences informatiques à l’Université du Manitoba. « Je n’ai jamais travaillé dans ce domaine de toute ma vie, rigole-t-il. J’ai seulement fait de la musique. »
Il y a 10 ans, après de nombreux voyages d’écriture de Winnipeg à Toronto, il s’installe de façon permanente dans la Ville reine; un déménagement logique sur le plan organisationnel qui lui a ouvert des portes dans le domaine de la défense des intérêts de l’industrie. Peu après son arrivée dans la capitale ontarienne, Chaturvedi est invité à siéger au conseil de la S.A.C. Il y est depuis cinq ans, et en est le président depuis un an. « La défense des droits des créateurs me passionne, affirme-t-il. C’est important pour moi de contribuer à accroître l’équité et l’équilibre au sein de l’écosystème musical, car les artistes sont la pierre angulaire de l’ensemble de l’industrie. »
La S.A.C. est un organisme axé sur ses membres qui protège l’environnement commercial, juridique et créatif des auteurs-compositeurs canadiens depuis près de 40 ans. Elle milite pour tous les créateurs de musique, des auteurs-compositeurs aux rappeurs en passant par les concepteurs rythmiques. « Si vous faites partie de l’enregistrement d’une chanson, vous êtes un créateur. Et c’est très important pour nous, car nous visons à inclure tous les genres de musiques de toutes les régions. »
La S.A.C. soutient ses membres en leur offrant des occasions de réseautage et des expériences transformationnelles, comme des camps de composition, dans le cadre desquels des artistes et des producteurs collaborent pour créer des pistes prêtes à présenter en pitch. L’organisme offre aussi des webinaires et des programmes de formation en ligne pour aider les auteurs-compositeurs émergents et établis à mieux connaître le côté commercial de la musique.
Chaturvedi insiste : « Il est important que les auteurs-compositeurs connaissent leurs droits et les sources de revenus et qu’ils soient conscients des incidences des rachats, des locations d’œuvres et d’autres pratiques potentiellement prédatrices. Je ne dis pas que ces procédés sont foncièrement mauvais, mais je crois qu’il faut que les créateurs comprennent dans quoi ils s’embarquent et qu’ils prennent des décisions éclairées, les yeux grand ouverts. »
Il évoque une tendance de laquelle il est témoin de plus en plus : « Certains auteurs-compositeurs d’influence disent, ‟si tu veux couper cette chanson, donne-moi une part de la bande maîtresse”. Je n’avais jamais vu ça, et c’est une nouveauté intéressante. »
La S.A.C. se consacre en grande partie à la défense de la juste rémunération des auteurs-compositeurs et de la mise en place d’un environnement législatif qui leur est favorable, une mission que Chaturvedi ne prend pas à la légère. « Nous aimons suivre le rythme de ce qui se passe dans l’industrie et attirer l’attention sur les enjeux signalés par les créateurs, tout en veillant à ce qu’ils ne passent pas sous le radar, comme la Loi sur la diffusion continue en ligne (le projet de loi C-11), qui est actuellement devant le Sénat. » À la rentrée parlementaire cet automne, la SAC demeurera en communication avec les sénateurs pour veiller à ce qu’ils comprennent bien l’importance de cette loi pour les créateurs de musique du pays.
Depuis plusieurs années, la S.A.C. et la CMRRA ont tissé une étroite relation de travail. « J’ai la chance de rencontrer chaque mois le président de la CMRRA, Paul Shaver, pour discuter de diverses initiatives qui visent à renforcer le secteur de la création et de l’édition au sein de l’industrie, confie Chaturvedi. Je suis très impressionné par les activités de sensibilisation que la CMRRA mène auprès des auteurs-compositeurs indépendants. Il s’agit d’un segment important du milieu, et ça me fait plaisir de voir que quelqu’un est à l’écoute de leurs besoins. »
En plus de son travail à la S.A.C., Chaturvedi est un producteur et auteur-compositeur recherché. Il a travaillé avec de nombreux artistes, notamment le regretté Lamont Dozier, Jim Brickman et Felix Cavaliere de The Rascals. Il a composé de la musique pour le cinéma et la télévision, notamment Keeping Up with The Kardashians, General Hospital et Degrassi.
Interrogé sur les hauts faits de sa carrière, il répond : « C’était vraiment cool de voir Kim Kardashian descendre l’allée centrale au son de l’une de mes mélodies, dans l’épisode du mariage. »
Au moment où nous écrivons ces lignes, Chaturvedi est à mettre la dernière main à des chansons pour Jim Brickman, The Modern Gentlemen, et Mat and Savanna, qu’il a toutes composées et produites avec son collaborateur et partenaire d’affaire de longue date, Luke McMaster.
En ce qui concerne l’avenir, Chaturvedi est certain que des groupes de créateurs du monde entier continueront à travailler fort pour assurer la défense de leurs droits et provoquer des changements positifs.
Il ajoute toutefois qu’il s’agit d’une époque difficile pour les créateurs de musique. « D’un côté, on écoute de la musique comme jamais auparavant, et la marchandisation des droits d’auteur a fait bondir la valeur des catalogues. Mais les rachats, les locations d’œuvres, l’intelligence artificielle et le déséquilibre dans la valeur des droits d’édition et d’enregistrement sur les services de diffusion en continu représentent des menaces. En raison de ces pratiques, il est plus difficile pour les créateurs de gagner leur vie de nos jours. »
Sa bande sonore pour l’avenir ? Takin’ Care of Business, composée par Randy Bachman et d’abord enregistrée par le groupe rock canadien Bachman-Turner Overdrive. « Les créateurs sont tenus de créer de la bonne musique en permanence, ce qui demande beaucoup de temps et d’énergie, fait-il remarquer. Mais les auteurs-compositeurs doivent s’occuper de leurs affaires [take care of their business] ! »
Pour en savoir plus sur l’Association des auteurs-compositeurs canadiens, consultez www.songwriters.ca. L’adhésion est gratuite jusqu’à la fin de 2022.