par Jon Dekel
Dans un monde idéal, Helen Murphy célébrerait 2020 en pilotant le retour tant attendu de José Feliciano.
La chef de la direction de l’Anthem Entertainment Group a passé une grande partie de 2019 à préparer le retour du légendaire chanteur et guitariste. Elle a réalisé et coécrit un documentaire intitulé Behind This Guitar, devait lancer un album du même nom et devait célébrer en grande pompe le 50e anniversaire de Feliz Navidad, le classique de Noël de Feliciano, notamment par la sortie d’une version rematricée par Rudy Perez (nommé producteur de la décennie par le magasine Billboard) et d’un livre pour enfant. Le coup d’envoi de la campagne devait être donné en mars. Mais la pandémie en a décidé autrement.
Revenant sur cette année qui n’en fut pas une, Murphy est étonnamment légère. « Bien sûr, ce n’est pas l’idéal, mais ces contretemps m’ont poussée à travailler encore plus fort, raconte-t-elle. C’est le 50e anniversaire de Feliz Navidad en 2020, mais maintenant nous nous préparons pour les 50 prochaines années ! »
Il appert que la rigueur est un trait qui définit la carrière de Murphy dans l’industrie. En entrevue téléphonique depuis ses bureaux de New York, elle se rappelle qu’elle a voulu travailler dans le milieu à la seconde où elle est tombée amoureuse de la musique, à l’adolescence. Après avoir obtenu un diplôme de la Ivey Business School de l’Université Western, elle a décroché son premier emploi : analyste sous-payée pour une entreprise qui lui a cependant permis d’investir n’importe quel secteur qui suscitait son intérêt. « J’ai choisi commercialisation et divertissement au Canada, se remémore-t-elle. Au fil du temps, j’en ai peu à peu appris sur les aspects économiques de l’industrie de la musique. Puis, quand j’ai obtenu mon premier emploi à Polygram en 1990, je n’ai jamais regardé en arrière. »
Au cours des 30 années suivantes, Murphy mènera une carrière qui semble immunisée contre les calamités et les caprices de l’industrie. En 1998, en sa qualité de directrice financière de Polygram, elle a contribué à la vente du légendaire label néerlandais à Seagram (qui possédait Universal Music Group) pour une somme de plus de 10 milliards de dollars américains. Deux ans plus tard, à titre de vice-présidente directrice mondiale et directrice financière de Warner Music Group (WMG), elle a aidé la maison de disques à traverser l’ère Napster, avant la vente du groupe à une entité de capital privé, également pour des milliards de dollars.
Après la vente de WMG en 2004, Murphy décide de voler de ses propres ailes et fonde International Media, une société de conseil stratégique et financier. Ses clients proviennent des industries internationales des médias et du divertissement, notamment Comcast, EMI Music, Lionel Richie, Live Nation, Martha Stewart Living Omnimedia, Sony Corporation of America et Ticketmaster. À titre de présidente, Murphy table sur sa solide compréhension des aspects financiers et créatifs du milieu pour guider les artistes et les sociétés dans ce qu’elle décrit comme une époque tumultueuse de grandes transformations dans le secteur de l’édition et de la musique enregistrée. « Je passais à peu près la moitié de mon temps à aider des artistes à composer leur image de marque, leur catalogue et leur stratégie en matière d’édition. »
Il y a deux ans, Murphy est invitée à succéder à Robert Ott, cofondateur d’Ole Media Management, au poste de chef de la direction. La société possède huit bureaux aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Son catalogue compte plus de 55 000 chansons et 60 000 heures de musique de film et d’émission de télévision, notamment des Backstreet Boys, Beyoncé, Blake Shelton, Britney Spears, Carrie Underwood, Eric Church, Jay Z, Justin Timberlake, Kelly Clarkson, Madonna, Michael Jackson, One Direction, Rihanna, Rush, Taylor Swift et Timbaland. Elle est la personne toute désignée pour ce poste, mais c’est la possibilité de travailler directement avec les créateurs qui l’enchante le plus.
Pour mieux refléter cette vision, Ole est rebaptisé Anthem Entertainment, en partie en hommage à une légendaire maison de disques canadienne (Ole avait acquis Anthem Records en 2015). Pour Murphy, qui a passé la majorité de sa vie d’adulte aux États-Unis, c’est en quelque sorte un retour aux sources. Et c’est dans cet esprit qu’elle affirme que la découverte et le renforcement de talents canadiens font partie de ses plus grandes réalisations à titre de chef de la direction d’Anthem.
« Vers la fin de 2019 et en 2020, nous avons beaucoup investi au Canada, et j’en suis très fière, révèle-t-elle. Des artistes et des auteurs-compositeurs comme Gord Bamford, Meghan Patrick et The Reklaws… Nous avons remporté un vif succès, et c’est très important pour nous, car nous sommes une entreprise canadienne. J’ai grandi au Canada et je suis citoyenne canadienne. Je suis donc très fière de notre réussite et je veux que l’aventure se poursuive. »
Parallèlement aux éloges au nord de la frontière, Murphy mentionne qu’elle est aussi fière de la série de triomphes des bureaux de Nashville de la société auprès du Billboard.
Selon Murphy, le succès d’Anthem se fonde sur son agilité et sur son approche personnelle. « Pour moi, une société à succès est une société qui prête véritablement attention aux besoins et aux souhaits des auteurs-compositeurs et des artistes dans l’élargissement de leur rayonnement, explique-t-elle. En bref, si je vois ou si mon équipe voit que des occasions se dessinent pour un artiste ou un auteur-compositeur de participer à un projet audiovisuel, à un balado ou à un enregistrement avec un autre artiste, cet auteur-compositeur ou cet artiste sera au centre de nos préoccupations. Nous le mettons en contact avec des gens de l’extérieur d’Anthem dans le milieu de la radiodiffusion, du cinéma ou du balado [afin qu’il puisse attirer un autre public que sa base de fidèles]. »
Cette philosophie qui met la création au premier plan se reflète dans le succès d’Anthem avec ses artistes actuels, mais également avec son catalogue patrimonial. « Ces chansons indémodables sont généralement le résultat de moments de génie, et, pour connaître de tels moments, il faut comprendre que les choses changent », explique-t-elle en mentionnant son travail avec des artistes comme Rush. « Pour maintenir sa notoriété, il faut faire des essais et expérimenter. Contrairement aux grandes maisons de disques, où tout est nouveau et innovateur, les sociétés d’édition sont, je crois, plus progressives et dynamiques lorsqu’il est question de projets et de nouvelles façons de partager les droits d’auteur. Tant que l’on fait preuve de la rigueur et de la perfection qui vont de pair avec la réalisation de quelque chose d’extraordinaire, lorsque l’on fait des essais et qu’on les fait évoluer, [les artistes et les auteurs-compositeurs] sont très reconnaissants. La passion, l’attachement à l’excellence et la détermination à conserver l’intégrité de l’œuvre originale dans tout produit dérivé… Voilà ce qui distingue une bonne maison d’édition ou de disques d’une maison exceptionnelle. »
Dans cet esprit, Murphy mentionne qu’elle a appris au cours des 30 dernières années au sein de l’industrie qu’une chanson n’avait pas de prix. « La musique soigne, la musique fait tomber les frontières, précise-t-elle. Elle a joué un rôle crucial dans l’essor de notre société, elle a mené des révolutions culturelles. En ce sens, sa véritable valeur est inestimable. »
Lorsque la pandémie a frappé, cette théorie a été mise à l’épreuve. Murphy affirme que le fait que le secteur de l’édition n’était pas uniquement en mode survie, mais qu’il était florissant, est la preuve de sa remarquable résilience.
« Je crois que les perspectives de l’édition musicale sont très bonnes, confie-t-elle. Cette résilience est le résultat des nombreuses façons d’utiliser la musique. Lorsqu’un format recule, comme faire jouer des disques dans les bars et les restaurants ou les tournées, d’autres plateformes gagnent en popularité, que ce soit la diffusion en continu, les médias sociaux ou la croissance soutenue des nouveaux formats comme les émissions spéciales radiodiffusées ou en baladodiffusion. »
Et d’ajouter : « L’industrie n’est pas aussi automatisée que je le voudrais. Mais elle est dynamique et résiliente. Cette résilience s’étend aussi aux artistes. Nos auteurs-compositeurs n’ont pas cessé de créer des chansons. Ils se sont adaptés, notamment en travaillant sur Zoom. Cette plateforme n’offre pas une façon optimale d’être créatif, mais je suis tellement fière que les artistes continuent de créer. »
Et, si la pandémie a retardé certains lancements, elle a également donné lieu à des triomphes inattendus.
« Nous sommes très chanceux de connaître un immense succès avec notre partenariat d’édition avec Timbaland, grâce à son incroyable popularité avec la série Verzuz, qui célèbre quelques-uns des plus grands tubes de tous les temps. »
En ce qui concerne ses projets post-COVID, Murphy indique qu’elle prévoit qu’Anthem sera encore plus entreprenante au Canada, qui demeure, selon elle, une source de talents inexploitée.
« Prenez par exemple Kalsey Kulyk [Saskatchewanaise établie à Nashville]. Elle était presque inconnue il y a 18 mois, et nous l’avons découverte dans un concours d’auteurs-compositeurs. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir une vraie superstar. Et je crois que c’est le travail acharné dans des périodes comme celle que nous traversons qui assure le succès à long terme. »
Murphy conclut : « Vous n’obtiendrez pas une note parfaite pour tout ce que vous faites. Mais il faut chaque jour aller au bâton. »
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