par Isabelle Speerin
Alisa Coleman d’ABKCO entretient un lien viscéral avec la musique, ce qui lui a permis de remporter de nombreux succès dans l’industrie musicale. Après 40 ans de carrière au service de cette industrie, elle continue de faire des vagues et d’inspirer une nouvelle génération.
Alisa Coleman, une vraie New-Yorkaise, est née dans une famille de musiciens. Son grand-père jouait du violon dans un orchestre de la haute société — l’Emil Coleman Orchestra — dirigé par son oncle. Cet orchestre populaire a joué au bal inaugural du président américain Eisenhower et à la dernière fête d’anniversaire du président américain John F. Kennedy, et a connu de grands succès dans les palmarès du Billboard.
Diplômée de la Hartt School of Music dans le Connecticut, Mme Coleman a reçu le prix Anchor, la plus haute distinction accordée par l’université à ses anciens élèves. « Au cours de ma dernière année d’études, j’ai eu la chance d’effectuer un stage chez Famous Music (aujourd’hui Sony) et j’ai développé un intérêt pour l’édition musicale, dit-elle. Comme la plupart des musiciens, j’ai décidé de me concentrer sur les chiffres, les actions et les affaires de l’industrie. »
À sa sortie de l’université, elle décroche un premier emploi à l’agence Harry Fox, où elle coridige le service des licences de synchronisation, travaillant avec les éditeurs pour négocier les droits musicaux pour les programmes télévisés, les publicités et l’industrie vidéo naissante. « C’étaient les premières années de l’industrie prolifique de la synchronisation, se rappelle-t-elle. Nous accordions des licences de chansons pour des émissions de télévision à des taux minimes et naviguions dans de nouvelles eaux avec la musique des vidéos amateurs. »
En 1985, Coleman rejoint ABKCO Music & Records, un petit label familial indépendant, à la fois une société d’édition et de production fondée par Allen Klein. Ce dernier était reconnu dans l’industrie pour ses talents de négociateur et sa capacité à traquer les redevances.
Dès son arrivée, elle assiste deux cadres chevronnés dans la production de disques, les redevances et l’édition musicale, avant de travailler dans tous les secteurs de l’entreprise. « J’ai pu interagir avec tous les membres de l’organisme et j’ai eu le privilège d’apprendre directement de Klein, que je considère comme un génie de l’industrie musicale, confie-t-elle. Sa pensée visionnaire a joué un rôle déterminant dans mes prises de décision hors des sentiers battus au cours de ma carrière. »
ABKCO abrite des compositions, des enregistrements et des films de Sam Cooke, The Rolling Stones, The Animals, Herman’s Hermits, Marianne Faithfull et The Kinks. Bobby Womack, Pete Townshend, Ray Davies, Rudy Martinez, Norman Luboff et Morton Craft font également partie des auteures-compositeurs.
« Même si nous ne sommes généralement pas considérés comme une société pour les artistes à leurs débuts, nous avons eu beaucoup de succès en les aidant à obtenir des placements synchro », mentionne Coleman, nommée première Chef des opérations d’ABKCO en 2016.
Son travail se concentre aujourd’hui sur la croissance de la valeur du catalogue d’ABKCO, la mise sur pied de méthodes innovantes de structuration des contrats et d’octroi de licences ainsi que l’exploitation des nouvelles technologies de divertissement. « Je suis une ardente défenseure des droits des autrices-compositrices, des auteures-compositeurs et des artistes, ce qui signifie que, même si nous ne concluons pas tous les accords, l’important pour nous est de conclure les bonnes affaires », résume-t-elle. « Être au bon endroit au bon moment, avoir les bonnes discussions et s’adresser aux bonnes personnes, tout cela reste important; favoriser ces relations, essentiel. »
Outre ses activités quotidiennes au sein d’ABKCO, Mme Coleman est engagée dans la défense des droits des éditeurs et des auteures-compositeurs et autrices-compositrices, ce qui la passionne. Il y a cinq ans, elle a été nommée première présidente du conseil d’administration de Mechanical Licensing Collective (MLC) aux États-Unis.
« Le fait d’être élue présidente d’un conseil d’administration par mes pairs de l’industrie est sans aucun doute l’un des points culminants de mon long parcours, confesse-t-elle. L’équipe de direction d’ABKCO comprend l’importance de soutenir les auteures-compositeurs, autrices-compositrices et éditeurs, ce qui m’a donné l’occasion de défendre leurs intérêts. C’est ce qui a amené des interactions positives entre la communauté des auteures-compositeurs et celle des éditeurs, qui se sont concentrées sur la poursuite d’objectifs communs, soit l’augmentation et la collecte des revenus. »
Après quatre décennies dans la musique, Mme Coleman affirme que certaines choses ne sont pas près de changer, notamment les défis auxquels sont confrontés les auteures-compositeurs, autrices-compositrices et éditeurs pour percevoir une rémunération juste et équitable. La protection de la propriété intellectuelle est également un sujet récurrent, le dernier enjeu étant la façon dont les sociétés d’intelligence artificielle exploitent les paroles de chansons protégées par le droit d’auteur pour bâtir leurs plateformes. Mme Coleman souligne qu’ABKCO continue de soutenir la protection de la propriété intellectuelle, comme en témoigne sa participation au procès intenté à l’entreprise d’intelligence artificielle Anthropic.
La CMRRA nous a aidés à naviguer nos droits en tant qu’éditeurs sous licence au Canada et a veillé à ce que nous soyons en mesure de garder le contrôle sur l’octroi de licences pour nos chansons avec les services de musique numériques, garantissant ainsi une autonomie de même que des taux et des conditions de licence solides. »
Le conseil qu’elle donne à quiconque commence une nouvelle carrière dans la musique est de rester ouvert et de ne pas se cantonner à un seul domaine de l’industrie : « Ne vous enfermez pas dans une case. Vivez autant d’expériences que possible dans les différents secteurs d’une société d’édition musicale ou d’un label. »
« Il faut rester ouvert aux nouvelles perspectives et occasions puis trouver quelque chose que l’on aime et qui nous attire au sein de l’industrie. L’apprentissage permanent est la clé du succès », d’affirmer Mme Coleman, qui insiste sur l’importance d’assister régulièrement aux événements et conférences du milieu. En fait, elle a été à l’origine de la création de ce que l’on appelle aujourd’hui le Global Music Publishing Summit, qui se tient chaque année en juin à New York.
Outre son rôle au sein de MLC, Mme Coleman siège actuellement au conseil d’administration de la Recording Industry Association of America (RIAA). Comment parvient-elle à concilier les nombreuses casquettes qu’elle porte dans l’industrie musicale ? « Heureusement, j’ai une personnalité de type A, dit-elle en riant. Mais la vérité, c’est qu’il m’a fallu pas mal d’années et malheureusement un problème de santé majeur pour comprendre comment trouver l’équilibre. »
Mme Coleman vit à New York avec son mari. Pendant leurs temps libres, ils gèrent un hôtel boutique primé qu’ils possèdent à Sainte-Lucie.