Par Isabelle Speerin
Il y a 50 ans, un groupe visionnaire d’éditeurs de musique canadiens dirigé par Pierre Gauthier, président de l’Association canadienne des éditeurs de musique (CMPA), jetait les bases de la création d’un organisme chargé de réguler l’attribution des droits de reproduction musicale au Canada. La mission de la CMPA était de défendre les intérêts des éditeurs de musique et de leurs partenaires auteures-compositrices et auteurs-compositeurs par un travail de sensibilisation, de communication et d’éducation. Motivés par le besoin d’une voix collective, ils fondèrent en 1975 l’Agence canadienne des droits de reproduction musicale (CMRRA), une agence qui centraliserait la distribution de licences pour la musique au Canada.
Cyril Devereux et Al Mair, des personnalités éminentes de l’industrie, ont grandement contribué à l’expansion et à l’influence de la CMRRA. Tous deux ont occupé des postes clés : Devereux en tant que directeur général et Mair en tant que président et membre du conseil d’administration pendant plusieurs décennies. Leur expérience combinée a aidé la CMRRA à gérer la fin de l’ère des licences obligatoires et du taux mécanique légal au Canada en 1988. Cela a ouvert la voie à des négociations directes avec l’industrie du disque et à des taux de redevance nettement plus élevés.
Au cours de ses premières années, la CMRRA a géré les licences mécaniques pour des produits physiques — disques en vinyle, cassettes et CD —, qui ont dominé les années 1970, 1980 et 1990. L’essor des plateformes de musique numérique, comme iTunes, ainsi que des réseaux de partage de fichiers poste à poste au début des années 2000 a fait ressortir le besoin urgent d’un nouveau cadre d’octroi de licences. La CMRRA a réagi en défendant le droit de concéder des licences sur des œuvres musicales directement aux plateformes de musique en ligne. Elle a finalement étendu ses activités d’attribution de licences à la distribution de musique numérique. Cette évolution a été déterminante pour garantir une rémunération équitable aux titulaires de droits.
Aujourd’hui, la CMRRA est la principale autorité canadienne en matière de licences mécaniques, numériques ou physiques. Sa véritable force réside toutefois dans sa capacité à se réinventer pour rester à la pointe de l’évolution de l’industrie de la musique. Cette capacité d’adaptation et d’innovation est au cœur de la longévité de l’agence au sein de l’écosystème musical canadien.
Voici quelques jalons importants qui ont contribué à faire de la CMRRA une figure de proue de l’industrie au cours des 50 dernières années :
- En 1997, les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur, en partie grâce aux efforts de sensibilisation de la CMRRA, lui ont permis de trouver une nouvelle source de revenus pour les éditeurs de musique en proposant un tarif de reproduction mécanique, exigeant des radiodiffuseurs commerciaux qu’ils paient des redevances pour la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Ce tarif a engendré des revenus dépassant 150 millions de dollars pour les éditeurs de musique canadiens.
- La CMRRA a joué un rôle clé dans la création de la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) en 1999. Sa création s’inscrit dans le cadre des initiatives globales de la CMRRA visant à centraliser la collecte et la distribution des redevances provenant des taxes sur la copie privée. La CMRRA continue à rendre la copie privée technologiquement neutre, en luttant contre le fléau de la reproduction illicite de chansons sans licence sur des appareils électroniques, tout en protégeant les droits d’auteur.
- En 2004, les dirigeants de la CMRRA ont joué un rôle crucial dans le lancement des licences de droits numériques en négociant directement avec des plateformes comme iTunes. Cela a assuré la pérennité de l’agence dans l’ère numérique. Le numérique représente aujourd’hui 90 % de ses revenus.
- Grâce à CSI (CMRRA-SODRAC Inc.), une coentreprise de la CMRRA et de la Société pour les droits de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC), la CMRRA a obtenu l’approbation d’un tarif par la Commission du droit d’auteur du Canada. Ce tarif comprend des taux de redevance parmi les plus élevés sur la planète pour la diffusion en continu en ligne et les téléchargements limités, soit 9,9 % pour le droit de reproduction et un taux global combiné de 17,5 % pour les années 2008 à 2010.
- En 2011, la CMRRA, au nom de CSI, a été nommée administratrice dans le cadre du règlement du recours collectif contre les principales maisons de disques, relatif à des redevances de reproduction mécanique et audiovisuelle impayées. Cela comprenait la gestion de multiples distributions au cours de la décennie suivante, sur la base d’une œuvre ou d’une part individuelle, ainsi que l’attribution de parts de marché, et d’autres distributions fondées sur des réclamations, rendues possibles grâce à un portail Web dédié. La CMRRA a également mis en place l’infrastructure nécessaire à la mise en œuvre d’un nouveau régime de licence électronique imposé par le règlement avec les maisons de disques.
- En 2013, l’agence a lancé un système d’octroi de licences et de répartition de redevances (LDS) sur mesure, hébergé dans l’infonuagique, qui a permis d’augmenter considérablement les distributions de redevances grâce à des capacités d’appariement amélioré et au traitement de gros volume de données.
- En 2016, la CMRRA cherchait un partenaire stratégique pour l’aider à optimiser et à étendre ses activités de gestion. L’acquisition par SoundExchange, en 2017, a marqué la première alliance entre les secteurs de l’enregistrement sonore et de l’édition musicale. Dans le cadre de son acquisition de la CMRRA, SX Works — une filiale de SoundExchange — a mis en place un comité des éditeurs canadiens (CPC) chargé de superviser et de maintenir la promotion les intérêts des entreprises d’éditeurs de musique au Canada.
- En 2019, la CMRRA a lancé un portail de réclamation sécurisé, une première dans l’industrie, qui répertorie l’ensemble des œuvres de musique numérique n’ayant pas fait l’objet de réclamations au Canada et permet aux éditeurs de musique, aux auteures-compositrices et aux auteurs-compositeurs indépendants de rechercher des utilisations inédites de leur répertoire.
- En 2021, la CMRRA a relancé son service de recouvrement international, qui s’étend à 72 pays dans le monde. Aujourd’hui, plus de 800 clients sont inscrits à ce service.
- En 2022, SX Works Global Publisher Services est relancé sous la direction de Paul Shaver pour former une division mondiale unifiée de services aux éditeurs, ce qui permettra de soutenir les communautés mondiales d’éditeurs de musique, d’auteures-compositrices et d’auteurs-compositeurs indépendants. L’équipe a récemment annoncé un nouveau partenariat avec Fender Play.
Sous la direction de Paul Shaver, son président actuel, la CMRRA a le vent en poupe pour aborder une nouvelle ère de croissance et d’innovation. « Nous sommes fiers de compter plus de 7 000 clients dans le monde entier et de bénéficier d’une réputation enviable dans le secteur grâce à notre efficacité, notre avance technologique, notre orientation client et notre fiabilité, déclare M. Shaver. Nous comptons parmi notre clientèle des centaines, voire des milliers d’auteures-compositrices et d’auteurs-compositeurs, ce qui accroît considérablement notre influence et notre portée à l’échelle mondiale. »
Bien qu’il soit fier des réalisations de la CMRRA jusqu’à présent, M. Shaver se concentre sur les défis à venir. Il cherche de nouveaux moyens d’ajouter de la valeur au marché international, d’élargir la portée des services offerts et d’obtenir des taux plus élevés pour la clientèle.
Le domaine des licences de postsynchronisation audiovisuelle l’intéresse particulièrement, qui consiste à monétiser les reproductions en aval de la musique dans les productions cinématographiques et télévisuelles sur des plateformes comme Netflix. Il croit fermement que ce créneau encore peu exploité recèle un grand potentiel pour le Canada : « Nous estimons qu’il s’agit d’un secteur d’activité crucial pour nous, et nous travaillons activement avec des partenaires pour établir un cadre règlementaire sur le marché canadien. »
La CMRRA se penche également sur la manière de favoriser un environnement de création d’IA sous licence légale. M. Shaver souligne que les sociétés de gestion collective (SGC), telles que la CMRRA, sont déjà engagées dans l’attribution de licences « fractionnées » et qu’elles sont donc bien positionnées pour aborder cette question. Les identificateurs de données pertinents étant suivis dès l’entrée, il sera possible d’activer le suivi de l’attribution à la sortie, établissant ainsi les bases d’un modèle légal et sous licence qui peut fournir une solution de monétisation viable pour toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur.
La CMRRA, ainsi que d’autres organismes musicaux canadiens tels que la SOCAN, Éditeurs de musique au Canada (EMC) et l’Association canadienne de la musique indépendante (CIMA), est activement engagée à Ottawa dans le cadre de l’initiative ACCORD. L’objectif est d’établir un cadre de licence qui garantit que les droits des créateurs et créatrices sont protégés et que leur rémunération est équitable pour l’utilisation de leur propriété intellectuelle dans les modèles d’IA. « Nous avons actuellement des discussions avec plusieurs partenaires. Je suis convaincu que la licence est la meilleure option et que la CMRRA et les EMC sont en mesure de négocier collectivement sur un marché de vente et d’achat mutuellement consentant », d’ajouter M. Shaver.
Un autre domaine important pour la CMRRA et sa clientèle est la fraude dans l’industrie des droits musicaux, que ce soit par la manipulation du nombre de flux ou par des demandes de redevances frauduleuses. « Nous essayons vraiment de cibler les mauvais joueurs et de maintenir l’ordre », explique M. Shaver qui croit que l’industrie peut travailler conjointement avec les SGC du monde entier pour combattre ces problèmes.
Grâce à son savoir-faire, à ses alliances dans l’industrie et à une base de données exploitant les technologies de SoundExchange, la CMRRA s’engage dans ce nouveau chapitre à la pointe de l’innovation, et ce, en abordant des enjeux complexes qui définissent l’avenir de la gestion des droits musicaux à l’échelle mondiale.
Au cœur du parcours de la CMRRA se trouve le dévouement inébranlable de son personnel, ancien et actuel, ainsi que le soutien continu de sa clientèle. Cette dernière fait confiance à l’organisme depuis 50 ans pour protéger ses œuvres. « Merci à notre incroyable équipe pour son travail acharné et son engagement, qui sont les moteurs de notre réussite au quotidien ! Merci également à nos clients pour leur confiance et leur collaboration constantes, enchaîne M. Shaver. Votre confiance nous incite à innover et à nous adapter en permanence à l’évolution du secteur. »
Avez-vous un souvenir marquant de la CMRRA au cours des 50 dernières années que vous aimeriez partager ? Si c’est le cas, nous serions ravis de l’entendre ! Que vous soyez un client ou cliente, un partenaire de la CMRRA ou un ancien membre de notre personnel, nous sommes curieux de connaître votre histoire. Envoyez-nous un courriel à [email protected].