par Jon Dekel
Au cours de la dernière décennie, Mary Megan Peer, tout juste nommée PDG de la troisième génération du géant mondial de l’édition indépendante peermusic, a suivi la voie tracée par son grand-père paternel, Ralph S. Peer.
L’aîné des Peer, reconnu comme le père des chansons populaires, a bâti un empire en prospectant l’or de l’édition là où peu de gens s’aventuraient : d’abord dans les années 1920, avec ses enregistrements de blues et de musique du Sud (Jimmie Davis, The Carter Family), puis au cours des décennies suivantes avec la musique latino (Pérez Prado, Consuelo Velázquez) et le rock and roll (Elvis Presley, The Rolling Stones, Buddy Holly). Plus de 90 ans plus tard, Mary Megan, en écho aux expéditions tous azimuts de Ralph, élargit la portée de peermusic par des investissements dans des marchés à forte croissance, notamment par des expansions audacieuses du côté des droits voisins et de l’Asie.
S’exprimant sur Zoom depuis son domicile d’Amsterdam, Peer explique qu’une telle vision peut être attribuée à la flexibilité de l’entreprise : « Nous sommes un groupe indépendant mondial. Cela signifie que nous ne sommes pas tributaires du marché financier et que nous n’avons pas à continuellement afficher notre taux de croissance. Cela nous permet d’être un peu plus stratégiques dans les transactions que nous envisageons. »
Prenons, par exemple, la récente acquisition de Music Cube, l’éditeur de K-pop — une opération qui, apparemment du jour au lendemain, a fait de la Corée le troisième territoire le plus rentable de peermusic. Lorsque Mme Peer constate que les marchés anglophones deviennent surchargés, elle concentre les intérêts de la société sur un territoire prometteur, mais où la concurrence entourant les contrats est beaucoup moins forte. « Comme nous avons un réseau international de bureaux dans 31 pays, nous sommes en mesure de déployer des capitaux là où cela pourrait s’avérer encourageant, en autant que cela profite à d’autres sociétés du réseau, explique-t-elle. C’est avec cette façon de penser que mon grand-père a fondé l’entreprise. Nous avons répandu ce principe éthique dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui. »
En ce sens, Peer établit un parallèle entre le travail de pionnier de son grand-père en Amérique latine et le succès de peermusic avec l’artiste colombo-canadien Lido Pimienta : « [Mon grand-père] a certainement été l’un des premiers éditeurs à s’intéresser à des territoires autres que les États-Unis. Lorsqu’il travaillait [comme directeur artistique pour Victor Talking Machine Company], on l’a envoyé enregistrer de la musique dans la ville de Mexico, source de certains de nos standards mexicains les plus connus, Besame Mucho et Granada. Nous avons fini par faire connaître ces chansons dans le monde entier. C’est encore le cas aujourd’hui avec une artiste comme Lido, qui chante en espagnol. Nous sommes l’un des seuls éditeurs à pouvoir travailler avec elle à une échelle mondiale, donc au Canada et aux États-Unis — nous avons des coécritures en cours à Miami et à Los Angeles —, mais aussi sur tous les marchés latino-américains. Nous cherchons également à la positionner en Europe. »
En décembre dernier, Peer succédait à son père, Ralph Peer II, au poste de directrice générale : elle devenait ainsi le quatrième PDG de peermusic et la deuxième femme à diriger l’entreprise (sa grand-mère Monique I. Peer avait pris la relève de son mari après son décès en 1960). Si, vu de l’extérieur, ce passage de témoin peut sembler prédestiné, selon Mme Peer, rien n’était coulé dans le béton. Dans son enfance, elle se souvient que son père se demandait régulièrement si l’un de ses enfants serait intéressé à prendre la relève. En conséquence, le catalogue de peermusic ne cessait de résonner dans leur quotidien. « Mon père était très fier de son travail, dit-elle. Je me souviens avoir entendu beaucoup de Taco dans la voiture parce que nous avions la bande maîtresse de Put It on the Ritz. »
Pourtant, c’est un autre classique du catalogue qui a laissé une trace indélébile. « En particulier, en grandissant, You Are My Sunshine a eu un effet considérable sur moi, se souvient-elle. S’il était évident qu’il s’agissait d’un auteur important de notre catalogue, j’avais également compris à quel point c’était une référence culturelle dans le monde entier. Il y a probablement eu plus de 1 000 reprises de cette chanson, et elle garde toujours son importance sur le marché de la synchronisation. Même en Chine et en Europe de l’Est, où beaucoup d’autres musiques occidentales ne circulent pas beaucoup, on associe cette chanson avec le sentiment d’être chez soi et l’importance de la famille. »
En fin de compte, c’est cet intérêt pour les retombées de la propriété intellectuelle qui amène Mary Megan Peer à occuper un emploi dans le domaine du courtage, en se concentrant sur les médias et l’industrie du divertissement, après avoir obtenu un MBA à la Columbia Business School. Mais ce n’est que lorsque la crise économique de 2008 paralyse le secteur qu’elle décide finalement de se prévaloir de son héritage. Étant donné son expérience en matière d’acquisition de contrats, Peer commence son mandat en travaillant avec le directeur financier de peermusic au développement commercial, à la croissance du catalogue et, de manière générale, « en essayant de mieux comprendre les principes de base de l’édition ».
« J’étais très intéressée par la façon dont le catalogue s’était développé au fil du temps, explique-t-elle. C’était important pour moi de comprendre comment nous entretenions des relations à long terme, notamment avec Donovan, David Foster ou The Tragically Hip. Et aussi de comprendre comment l’entreprise se développait. »
Après deux ans dans le développement commercial, Peer assume des rôles de direction en Argentine et en Asie, apprenant les « rouages » du métier dans une entreprise aussi internationale. C’est à ce dernier poste, en tant que présidente de l’Asie-Pacifique et des marchés stratégiques, que Peer commence à vraiment faire sa marque, en ouvrant les premiers bureaux de l’entreprise en Chine continentale et en repérant l’arrivée sur le marché de la sensation K-pop. « Le Japon a toujours été un marché musical très fort, mais nous avons commencé à avoir des revenus importants en provenance de Corée, se souvient-elle. À l’époque, nous avions une relation de sous-édition avec un grand éditeur indépendant [Music Cube] à Séoul. » En regardant les chiffres, Peer commence à investir dans l’entreprise et, en 2018, achète la part restante, intégrant 40 000 ayants droit et œuvres coréennes dans le catalogue de peermusic.
Tout aussi important, elle incorpore Music Cube au réseau mondial de peermusic. « Il est vraiment essentiel pour nos auteurs du monde entier, notamment nos auteurs suédois, d’avoir un accès direct à ce marché, souligne-t-elle. En fait, nous avons récemment fait paraître une publicité dans Billboard pour féliciter nos auteurs suédois d’avoir eu neuf chansons au sommet du palmarès en Corée l’année dernière. Je pense que c’est un témoignage édifiant de notre influence sur ce marché. »
Plus récemment, Peer lorgne du côté d’un autre marché en plein essor ignoré par beaucoup de grands labels : les droits voisins. « Nous avons défini ce marché comme un domaine en pleine croissance complémentaire à notre activité, dit-elle, et nous pouvions utiliser notre réseau international d’antennes pour augmenter les perceptions des sociétés de droits voisins en développement. » Dans cette optique, au lieu de créer une division de toutes pièces, Peer estime qu’il serait plus pertinent d’investir « pour travailler avec des équipes d’experts reconnus dans le domaine et un groupe établi de clients artistes-interprètes et de gestionnaires-propriétaires ».
En octobre 2020, peermusic acquiert Premier Muzik, All Right Music et Global Master Rights, ajoutant une liste de clients de droits voisins de plus de 300 labels et représentant plus de 2 500 artistes-interprètes, notamment Rihanna, Billie Eilish, Imagine Dragons, Metallica, Jacques Brel, Jean-Michel Jarre, Leonard Bernstein, Megan Thee Stallion, Finneas, Lizzo, Panic! At the Disco et David Guetta. L’opération fait instantanément de peermusic un leader d’influence en matière de droits voisins, les artistes des droits voisins de peermusic ayant interprété 23 % des cent meilleures chansons de fin d’année 2020 aux États-Unis.
Pour ce qui est de l’avenir, Peer est déjà à la recherche du prochain marché de croissance tout en tentant de naviguer dans le monde mouvant de l’édition mondiale à l’ère du numérique. « Le marché est en constante évolution, explique-t-elle. Côté signature d’auteurs, cela est devenu de plus en plus difficile, car il y a plus de chansons publiées et moins d’occasions de placement. Par ailleurs, le marché de l’acquisition de catalogue, qui était auparavant une niche, a connu une évolution spectaculaire. Je dirais que nous nous trouvons actuellement dans le très haut de gamme. Il est clair que l’on investit beaucoup d’argent dans ce domaine. »
Cela dit, Peer croit qu’il est encore très pertinent pour une entreprise mondiale comme peermusic d’investir dans le talent et de l’entretenir, surtout dans un marché comme le Canada, où l’entreprise possède des bureaux depuis les années 1940. Dirigé par Neville Quinlan, directeur général de peermusic Canada, ils représentent des talents établis et à venir, parmi lesquels Death From Above 1979, The Tragically Hip, Lido Pimienta, July Talk et The OBGMs. « De toute évidence, la façon de signer un accord avec un artiste et de travailler a vraiment changé au fil des ans, et particulièrement au cours des 20 dernières années, estime Neville Quinlan. Nous avons la capacité de travailler lentement avec les artistes et d’être patients, de commencer par un accord de représentation synchrone ou d’administration à court terme, puis d’évoluer avec l’auteur au fil des années. Le résultat est que nous sommes vraiment prêts à nous engager auprès de nouveaux artistes et d’artistes en développement, et de prendre le temps qu’il faut — il peut s’écouler de quatre à cinq ans avant qu’on ne commence vraiment à gagner du terrain, surtout sur les marchés internationaux. En tant que société indépendante internationale, nous sommes vraiment en mesure d’aller de l’avant et de prendre ces mesures pour développer cette relation de confiance. »
C’est aussi, selon Peer, la raison pour laquelle peermusic est membre de longue date de la CMRRA. « En tant qu’éditeur indépendant, nous pensons qu’il est important de s’impliquer et de servir nos sociétés de droits locales, explique-t-elle. Neville Quinlan, le responsable de notre bureau de peermusic Canada, est président du comité des éditeurs canadiens de la CMRRA et s’est joint au conseil d’administration en 2002. »
« La CMRRA est un chef de file en matière de redevances et de défense des intérêts des créateurs et des éditeurs de musique au Canada. L’Agence cherche continuellement des moyens d’offrir une valeur ajoutée, des services et de la transparence à ses membres. »
#dINFLUENCE Les éditeurs sont au cœur de l’industrie de la musique. En 2021, nous présenterons 11 d’entre eux. Nous parlerons aussi de chansons. Nous sommes conscients qu’il n’existe pas de mesure universelle pour quantifier le succès d’une chanson; c’est pourquoi nous aborderons toutes les façons inimaginables de quantifier leur influence — des chansons qui ont déclenché des révolutions, lancé des mouvements, été catalyseuses de changements, donné naissance à des histoires d’amour ou qui ont tout simplement été une source d’inspiration.
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