par Jon Dekel
Il y a quelques années, alors qu’il regardait La Voix, Daniel Lafrance entend quelque chose qui le fait frissonner et pique son attention. Il appelle donc le producteur de la populaire émission, un ami, et, le dimanche suivant, il est sur le plateau pour courtiser trois participants, avec qui il finira par conclure un contrat : Soran, Matt Holubowski et Sam Tucker.
On sait aujourd’hui que Lafrance a gagné son pari, puisque les trois artistes connaissent du succès, comme auteurs-compositeurs et interprètes, au Canada et en Europe. Cette histoire illustre bien pourquoi, après presque 50 ans dans le milieu de la musique, le directeur général d’Éditorial Avenue, un grand nom de l’édition musicale sur le marché francophone, conserve toujours une longueur d’avance. « De nos jours, il faut être vite sur le piton », nous dit-il, en entrevue téléphonique depuis sa résidence de Sainte-Julie, sur la rive sud de Montréal. Et d’ajouter : « Évidemment, reconnaître le talent vient avec l’expérience. Mais il s’agit aussi d’investir tôt dans un artiste et de créer un lien humain avec lui, et ce, à une époque où tout le monde veut prendre le chemin de l’édition à compte d’auteur. Il faut montrer à l’artiste ce que l’on peut faire pour lui et que l’on comprend ce dont il a besoin [pour avoir du succès]. »
Lafrance travaille judicieusement cet équilibre depuis les années 1970. Il a remporté jusqu’à présent neuf Félix de l’éditeur de l’année, deux prix de la Socan pour l’éditeur de l’année et le prix Christopher J. Reed pour l’ensemble de sa carrière. Néanmoins, à ses débuts, Lafrance ne connaissait rien du monde de l’édition. Se remémorant ses premiers pas dans le milieu, au sein du groupe de jazz Solstice, il explique : « J’étais compositeur, guitariste et producteur. Je programmais les concerts, je m’occupais de la promotion, puis j’ai ouvert une maison de disques et j’ai commencé à produire d’autres groupes. »
Au cours des années 1980, Lafrance réduit peu à peu ses activités, pour se concentrer sur la gérance, parallèlement à ses fonctions en production. C’est à cette époque qu’il découvre l’édition musicale. C’est un coup de foudre. À l’époque, Lafrance est le gérant de la chanteuse folk Francine Raymond. « Lorsque Pour l’amour qu’il nous reste a atteint le sommet des palmarès, j’ai su que je devais bouger. J’ai réalisé que j’avais plus de plaisir avec l’édition. » Cette transition n’a pas été des plus faciles. « J’ai dû commencer de zéro et convaincre tout le monde que j’étais le meilleur éditeur. C’était mon objectif », révèle-t-il. C’est lorsque l’une de ses premières clientes, Julie Masse, remporte le gros lot avec Les idées noires que Lafrance se rend compte pour la première fois qu’il pourrait faire de l’argent avec cet emploi. « Je n’étais pas riche, rigole-t-il, mais j’étais vraiment fier d’avoir le talent pour faire ce que je faisais. »
Dynamisé par le succès des Idées noires, Lafrance commence à faire travailler son carnet d’adresses. « J’étais reconnu comme gérant. J’ai appelé tous mes contacts un par un pour leur demander si je pouvais administrer leur catalogue. J’ai fini par connaître beaucoup plus de succès comme gestionnaire de catalogue que comme éditeur. »
Peu de temps après, Lafrance commence à passer de plus en plus de temps à Paris, où il prend une série de décisions d’affaires très avisées. Notamment, il codéveloppe un logiciel de gestion des droits, Ze Publisher, qu’il vendra à Walt Disney France, et deviendra sous-éditeur pour certaines des plus grandes sociétés françaises du secteur, comme peermusic France et Canal Plus. « Et j’apportais mon répertoire québécois en France », ajoute-t-il.
Au tournant du millénaire, Rosaire Archambault et Michel Bélanger, d’Audiogram, le contactent pour diriger une nouvelle boîte d’édition. Lafrance y voit une occasion d’importer au Québec tout ce qu’il a appris à l’étranger pour révolutionner le marché de l’édition de la Belle Province. Éditorial Avenue lui permet ainsi d’implanter rapidement et efficacement le modèle d’édition découvert en France, à savoir les pactes de préférence, des contrats exclusifs à long terme établis en échange d’avances et même d’instruments de musique ou d’outils de travail. « Personne ne faisait ça de façon courante ni à l’échelle que l’on voyait sur le marché français, explique-t-il. Nous avons commencé à acquérir des catalogues. Là encore, au Québec, il n’y avait pas grand monde qui faisait ça, car il faut vraiment avoir les reins solides. »
Au cours des 20 années qui suivront, la stratégie de Lafrance portera joliment fruit. Forte de nombreuses histoires à succès, Éditorial Avenue représente entre autres Daniel Bélanger, Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Loco Locass, Lhasa de Sela, Jean Leloup, Alex Nevsky, Damien Robitaille, Luis Clavis, Catherine Major et Bran Van 3000, dont le tube Drinking in L.A. reste la chanson du répertoire de l’éditeur qui enregistre les revenus annuels les plus élevés. De même, parmi les importants catalogues acquis par Éditorial Avenue, citons ceux de Jean-Pierre Ferland, de Claude Léveillée, de Roger Tabra, de Francine Raymond, de Jacques Michel, de Laurence Jalbert, des Respectables, d’Éric Lapointe et de Catherine Major.
Interrogé sur ce que l’avenir réserve à Éditorial Avenue, Lafrance affirme sans détour : « Mettre sous contrat le plus grand nombre de gens possible. Pas tout le monde, seulement les auteurs-compositeurs de talent, évidemment. Mais toutes sortes de contrats, parce que nous savons que certains d’entre eux seront les grandes vedettes de demain. »
C’est cette mentalité, celle de voir le potentiel à long terme avant les autres, qui alimente la flamme de Lafrance. Et c’est également ce qui a motivé l’ancien membre du conseil d’administration de la CMRRA d’y revenir, après un court séjour à la Socan.
« C’est bon de revenir à la CMRRA» confie-t-il. « C’est comme rentrer à la maison et retrouver sa famille. Je sens que je fais partie d’une équipe qui change vraiment les choses dans le milieu de l’édition canadienne. »
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