Par Tabassum Siddiqui
Kristy Fletcher, présidente de l’organisme caritatif canadien MusiCounts, a toujours aimé la musique, mais elle se rappelle ne pas avoir eu vraiment accès aux études musicales à l’école — une lacune qui l’aide à jouer son rôle aujourd’hui.
« Je ne suis pas particulièrement musicienne, mais j’ai toujours été très liée à la musique, explique Mme Fletcher. C’est amusant, car je suis probablement un bon exemple de quelqu’un qui n’a pas bénéficié d’un programme musical solide dans l’enfance et, pour cette raison, je pense que je n’ai jamais pu explorer pleinement le côté créatif qui sommeille en moi. J’ai toujours éprouvé de vifs regrets à ce sujet. »
« Je pense que cela me stimule aujourd’hui à accomplir ce que je fais avec MusiCounts, parce que je sais à quel point l’enseignement de la musique est important, puisque je n’ai pas eu la chance de vivre cette expérience. Et je suis maintenant en mesure d’aider les gens à en bénéficier. »
Fletcher, qui s’est jointe à MusiCounts en 2016, a passé une vingtaine d’années à travailler dans le domaine du sport et du divertissement avec Maple Leaf Sports & Entertainment (où elle a contribué à définir les relations communautaires et les stratégies d’adhésion pour les Maple Leafs et les Raptors de Toronto en plus de jouer un rôle déterminant dans le développement du fonds de bienfaisance des Leafs) avant de décider qu’un changement de carrière s’imposait.
« Je n’aurais jamais pensé me retrouver dans l’industrie de la musique, dit-elle. Je savais que je voulais faire quelque chose de différent, sans savoir exactement quoi. »
Lorsque le poste à MusiCounts s’est présenté, Mme Fletcher a rencontré Allan Reid, président-directeur général de l’Académie canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement (ACASE), qui a créé MusiCounts en 1997. M. Reid, auparavant président de MusiCounts, lui a expliqué que ce poste avait changé sa vie. C’était exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre.
« J’ai adoré le fait que ce soit un petit organisme et un groupe de personnes passionnées par ce qu’elles font; j’ai ressenti cela dès que j’ai franchi la porte », se souvient-elle.
L’objectif de MusiCounts, qui consiste à mettre les jeunes en contact avec l’enseignement de la musique et les ressources nécessaires, a également trouvé un écho en elle.
« À l’époque, j’avais deux enfants qui allaient à l’école primaire; l’un d’eux avait des difficultés, et c’est le cours de musique qui l’a vraiment fait sortir de sa coquille. J’ai vu de mes propres yeux cette transformation grâce à la musique : sa capacité à établir des relations avec les autres élèves de la classe, à développer une compétence, se souvient-elle. Et c’est peu après que j’ai joint les rangs de MusiCounts. Cela m’a semblé être un heureux hasard. »
Mme Fletcher dirige les efforts déployés par MusiCounts pour développer sa fondation caritative en établissant des partenariats avec des entreprises, des artistes canadiens et des philanthropes individuels pour promouvoir et soutenir l’éducation musicale au Canada.
« Nous voulons rendre l’éducation musicale accessible, durable et inclusive pour les jeunes. En plus de 25 ans d’existence, nous avons investi plus de 16 millions de dollars en instruments de musique et en équipements dans plus de 1 500 écoles et organismes communautaires », se réjouit Mme Fletcher.
« L’enseignement de la musique au Canada est sérieusement sous-financé, ce qui se traduit par une diminution du nombre de professeurs de musique spécialisés dans ce domaine, déplore-t-elle, en précisant que le personnel enseignant d’autres matières doit souvent enseigner la musique dans leur école. Pour répondre à ce besoin, MusiCounts propose également des ressources au personnel enseignant afin qu’il puisse donner des cours de musique dignes de ce nom. »
« Nous tenons également à ce que MusiCounts contribue à la réflexion sur la durabilité de l’industrie musicale. Nous voulons nous assurer que les élèves sont conscients des nombreuses possibilités professionnelles qu’offre l’industrie, qui ne se limitent pas à l’interprétation, par exemple en tant qu’auteur-compositeur, autrice-compositrice ou éditeur », explique Mme Fletcher.
Bien que de nombreux élèves qui étudient la musique à l’école ne se joignent pas nécessairement à un groupe ou n’envisagent pas de se produire sur scène, une partie du mandat de MusiCounts consiste à informer le personnel enseignant, les conseillers et conseillères d’orientation et surtout les élèves des nombreuses autres perspectives offertes par l’industrie musicale, notamment l’écriture de chansons et l’édition musicale.
« L’édition musicale ou le fait d’écrire ou de composer pour d’autres sont des facettes de l’industrie que les enfants n’ont pratiquement aucun moyen de connaître. Même de nombreuses personnes de l’industrie musicale n’ont pas les informations ou les connaissances nécessaires sur l’aspect édition du secteur, déplore Mme Fletcher. Nous savons pourtant qu’il peut s’agir d’un choix de carrière à la fois lucratif et stable — et pourtant, c’est occulté par de nombreux professeurs de musique. »
À cette fin, MusiCounts a développé En Piste, une ressource en ligne qui donne une vue d’ensemble des différentes possibilités offertes par l’industrie musicale.
« Nous travaillons de concert avec les éditeurs de musique et les sociétés d’édition canadiennes, y compris la CMRRA, pour nous assurer que nous incluons toutes les informations pertinentes, précise Mme Fletcher. Et nous mettons sur pied des séances de mentorat pour nos boursières et boursiers, et y intégrons toujours l’édition dans le cadre de nos efforts pour nous assurer que les jeunes qui commencent dans la profession sont conscients que ça fait partie de l’industrie. »
Mme Fletcher mentionne que MusiCounts invite souvent des auteurs-compositeurs-interprètes ou autrices-compositrices-interprètes et d’autres personnes du domaine de l’édition à des séances de mentorat et à des conférences en classe, où le processus créatif et l’aspect commercial de leur métier sont abordés.
« Nous ne sommes pas toujours experts en la matière, mais nous voulons nous assurer que nous pouvons mettre les élèves et le personnel enseignant en contact avec des organismes qui le sont, qu’il s’agisse de la CMRRA ou de l’ACASE, et continuer de développer nos ressources en ligne », explique Mme Fletcher.
« Lorsque nous travaillons avec les jeunes boursiers et boursières, et que nous les faisons venir à Toronto pour une semaine intensive de mentorat, ils sont extrêmement intéressés par l’édition et les mécanismes de l’octroi de licences. Nous constatons que c’est toujours l’une de nos séances les plus populaires et, comme ils ont souvent peu de connaissances dans ce domaine, nous voulons les renseigner sur les étapes à suivre pour s’assurer d’être rémunérés pour leur travail. »
En tant que maillon essentiel de l’écosystème musical canadien, MusiCounts est confronté aux mêmes défis que l’ensemble de l’industrie, mais, en tant qu’organisme caritatif et éducatif, les initiatives de promotion et de sensibilisation restent au cœur de ses préoccupations.
En plus de travailler avec le personnel enseignant pour présenter l’industrie de la musique comme une option de carrière viable, il est primordial de plaider en faveur du soutien à l’enseignement de la musique, « parce que, sans cours de musique, il n’y a évidemment pas d’industrie de la musique », souligne Mme Fletcher.
« Le défi le plus important pour MusiCounts est celui de la sensibilisation. Si nous avons bien réussi à faire comprendre que nous fournissions des instruments de musique aux écoles et que nous contribuions à soutenir les cours de musique, je ne suis pas sûre que les gens fassent toujours le lien avec le fait que MusiCounts contribue à soutenir l’industrie de la musique à long terme. Et c’est une grande partie de ce que nous essayons de transmettre depuis plusieurs années : nous devons nous assurer que l’éducation musicale se passe bien dans les classes, car cela se traduira par un écosystème musical plus sain. »
MusiCounts, comme l’ensemble du secteur, est également confronté à l’évolution constante de la technologie, qui est essentielle pour l’industrie et pour permettre à la prochaine génération de démarrer sa carrière musicale. Selon Mme Fletcher, il est impératif de comprendre comment utiliser efficacement les plateformes en ligne et de veiller à ce que les créatrices et créateurs soient rémunérés pour leurs réalisations.
« Pour les jeunes, les médias sociaux et les autres plateformes en ligne jouent un rôle très important dans le lancement de leur carrière. Ils ont besoin de comprendre de nombreuses facettes — comment se vendre, le droit associé aux tournées et au divertissement, comment être rémunéré en utilisant des ressources telles que la CMRRA. Ce sont toutes des informations clés que nous pouvons aider à transmettre. »
Il est sans doute pertinent que Mme Fletcher dirige un organisme voué à l’éducation, car elle affirme que l’apprentissage permanent est au cœur de son style de leadership, plus particulièrement après avoir bifurqué vers un autre domaine en cours de route.
« Je dirais que je suis une dirigeante très collaborative. Je pense que l’une des choses qui m’ont permis d’entrer dans un secteur très nouveau pour moi, c’est que j’avais tout à apprendre. Et cela a créé une dynamique très intéressante avec mon équipe, dans la mesure où j’avais autant à apprendre d’elle qu’elle de moi », explique Mme Fletcher.
Une partie de son engagement consiste à faire du bénévolat auprès de groupes de l’industrie tels que Women in Music Canada, dont elle fait partie du conseil d’administration.
« Il y a toujours eu une base très solide de femmes dans l’industrie de la musique qui ont travaillé dur pour se tailler une place et naviguer dans l’industrie. C’est alors que Women in Music Canada a été officialisé, et je suis contente d’en faire partie — j’ai beaucoup appris, et j’espère pouvoir y apporter ma contribution. »
Interrogée sur les conseils qu’elle pourrait donner aux jeunes qui débutent dans l’industrie, Mme Fletcher affirme que le réseautage, soit l’établissement de liens réels et durables, est essentiel à l’avancement de la carrière.
« Je pense que le parcours d’une dirigeante ne se termine jamais : je suis maintenant dans la dernière ligne droite de ma carrière, mais j’ai l’impression qu’il me reste beaucoup à apprendre. Et je pense que le travail en réseau est très important. C’est certainement applicable à tous les secteurs, mais je trouve que la musique est une activité qui repose tellement sur les relations », ajoute Mme Fletcher.
« Il faut prendre le temps d’entretenir ces relations, d’être capable de poser des questions et de comprendre ce que font les gens. J’ai eu la chance de rencontrer un grand nombre de personnes incroyables dans ce secteur pendant mes années à MusiCounts, et c’est en développant ces relations que j’ai pu le faire. »
Pour en savoir plus sur MusiCounts, visitez le site www.musicounts.ca.