Par Tabassum Siddiqui
Avocat très occupé, spécialisé en droit du divertissement depuis 20 ans, Miro Oballa travaille avec une clientèle dans les domaines notamment du cinéma, de la télévision, des jeux, du sport, mais le secteur qui le passionne le plus est sans contredit celui de la musique. Les murs de son bureau sont tapissés d’affiches encadrées, de prix et de résultats de ventes d’artistes canadiens de premier plan tels que Drake et Classified.
Au cours des deux dernières décennies, M. Oballa, associé du cabinet d’avocats torontois Taylor Oballa Murray Leyland LLP, a acquis la réputation d’être l’un des principaux avocats spécialisés dans le domaine de la musique au pays. Il aide les artistes et les professionnels de la musique à naviguer dans le monde souvent complexe des droits d’auteur et de licence, des contrats de label et d’autres accords de l’industrie.
Bien que le droit n’ait pas été son premier choix de carrière, son intérêt pour la musique remonte à l’enfance, lorsqu’il écoutait les artistes noirs influents qui se sont fait connaître dans les années 1980.
« En tant que fils unique, on a tendance à vivre dans son propre monde, se souvient M. Oballa. Mes premiers souvenirs de musique remontent à l’âge de neuf ans environ. Thriller de Michael Jackson venait de sortir; je me souviens que la vidéo avait fait fureur à la maison. Il me semble que Purple Rain de Prince est le premier album que j’ai acheté avec mon argent de poche. Je me souviens avoir assisté à un concert de Tina Turner avec mes parents. J’ai fini par aimer la musique parce qu’elle m’ouvrait une fenêtre sur d’autres univers que le mien, ce qui m’intéressait vraiment. »
Adolescent, Oballa remarque l’absence d’autres familles noires à Calgary à l’époque et est très attiré par le hip-hop des années 1990 pour se rapprocher de ses racines.
C’est seulement après qu’Oballa — qui était au départ attiré par le journalisme après avoir écrit des critiques de disques pour le journal de son université — eut quitté le droit des sociétés pour saisir l’occasion de pratiquer le droit du divertissement en 2002 qu’il a décidé d’associer son amour profond de la musique à sa carrière juridique.
« Beaucoup d’avocats de notre cabinet étaient musiciens, et certains le sont encore, mais ce n’était pas ma voie — c’est plutôt le fait d’être un amateur de musique… et un joueur médiocre de certains instruments qui m’a poussé à choisir cette voie », explique-t-il en riant.
Lorsqu’il travaille avec des artistes, des auteurs-compositeurs, autrices-compositrices et des gérants, M. Oballa s’efforce de s’immerger dans l’industrie musicale pour bien en comprendre les rouages ainsi que les conséquences de son évolution sur les aspects juridiques de la carrière de ses clients. Et, ajoute-t-il, être avocat spécialisé dans la musique ne se limite pas à conseiller sa clientèle sur la signature de contrats — une grande partie du travail consiste à jouer le rôle de conseiller fiable.
« Aujourd’hui, surtout à l’ère de TikTok, prenons un jeune qui vit peut-être dans un appartement au sous-sol et qui travaille tout en faisant de la musique. Il se fait connaître grâce à une chanson aléatoire parce que quelqu’un l’a mise sur TikTok et qu’elle plaît, explique M. Oballa. Puis, il reçoit des appels d’une demi-douzaine de labels et d’éditeurs dans le monde entier. Il n’a pas vraiment d’équipe. Il n’a aucune idée de ce qu’il faut faire et a besoin qu’on le guide. Voilà le genre de scénario dans lequel je suis souvent impliqué. Il s’agit alors moins de revoir certaines parties du contrat que de trouver comment maximiser les possibilités qui s’offrent à lui, pour qu’elles correspondent le mieux possible à ses objectifs et à ses rêves. »
Oballa, qui a commencé sa carrière au moment où Napster et le partage de fichiers bouleversaient l’industrie musicale, a été aux premières loges pour observer l’évolution du secteur au cours des 20 dernières années. « Les modes de fonctionnement ont subi des bouleversements considérables et je pense que cela va continuer, souligne-t-il. De nos jours, les contrats avec les grands labels ou les éditeurs ne conviennent pas à tout le monde, car certains artistes ne veulent pas être enfermés. Les artistes ou managers peuvent conclure plusieurs contrats au cours de leur vie, et non juste un seul. »
« Nous sommes confrontés à un défi de taille avec l’IA — c’est un énorme point d’interrogation. Elle va avoir une incidence sur tout, mais personne ne sait encore exactement comment. Tout est en perpétuelle mutation, ce qui signifie que nous devons savoir, en tant qu’avocats, ce qui se passe et nous assurer que nos conseils sont en lien avec ce qui se passe aujourd’hui. »
Les avocats sont donc essentiels dans l’entourage des artistes ou des auteurs-compositeurs ou autrices-compositrices, étant donné le rôle qu’ils jouent dans les divers accords et aspects d’une carrière musicale. Et pour de nombreux artistes canadiens de premier plan, Miro Oballa a représenté un atout de taille qui les a aidés à s’orienter dans la bonne direction.
« Nous avons eu la chance de travailler avec un grand nombre d’artistes, d’autrices-compositrices et d’auteurs-compositeurs canadiens au fil des ans, et, pour plusieurs, dès leurs débuts. Je me souviens d’être dans mon bureau et d’entendre le fondateur de notre entreprise, Chris Taylor, faire jouer quelque chose dans les haut-parleurs. Il s’agissait d’une chanson produite par Cirkut, qui était alors un producteur plutôt inconnu, mais qui, quelques années plus tard, a produit certains des plus grands succès du monde, raconte M. Oballa. Nous avons souvent le privilège d’accompagner les artistes à leurs débuts et de contribuer à faire décoller leur carrière. »
Une grande part du travail d’Oballa consiste à s’assurer que les artistes et leurs équipes comprennent bien le fonctionnement des droits d’édition et de reproduction musicaux, particulièrement à une époque où la multiplicité des sources de revenus est essentielle pour bâtir une carrière durable.
« La musique est juridiquement complexe du point de vue des droits, en partie parce que beaucoup ne comprennent pas qu’il y a deux niveaux de droits, précise M. Oballa. La plupart du temps, lorsque vous entendez une chanson à la radio, vous ne savez pas qu’il s’agit à la fois d’une chanson écrite par quelqu’un, mais également d’un enregistrement de cette chanson — et les artistes qui l’interprètent peuvent en être les auteurs, mais parfois ce n’est pas le cas. Il s’agit là de deux droits d’auteur totalement distincts, dont les droits sont détenus par des personnes physiques ou morales différentes, telles qu’une maison de disques ou un éditeur de musique. »
« Je conseille souvent à ma clientèle de s’assurer que toutes les bases sont couvertes en ce qui a trait à leurs droits d’édition. Ainsi, vous tirez vos revenus de la diffusion en ligne, mais si vous voulez percevoir vos redevances mécaniques numériques, vous devez vous adresser à une société qui s’en charge, à savoir la CMRRA, poursuit-il. De telles agences des droits de reproduction musicaux jouent un rôle important à cet égard. »
« Veillez à ce que toutes vos œuvres soient enregistrées — cela semble un cliché de le répéter, mais c’est plus vrai que jamais : pour 98 % des créateurs et créatrices, ce sont les petites choses qui comptent. Lorsque vous recevez vos déclarations — que ce soit de la CMRRA, de TuneCore, de DistroKid, de votre label —, elles se laissent ventiler. Vous avez reçu tel nombre d’écoutes sur Spotify en Norvège, ce qui ne représentait peut-être que 63 cents, mais tous ces cents s’additionnent : il s’agit d’un phénomène continu qui se répète chaque mois, qu’il s’agisse de mille écoutes, d’un million d’écoutes ou de 10 millions d’écoutes, tout cela s’additionne. »
« Il est donc important de connaître toutes les sociétés de gestion des droits et d’enregistrer toutes vos œuvres, car si elles ne sont pas correctement enregistrées dans le système, la société de gestion de licences ne saura pas qu’elle peut percevoir des droits sur ces œuvres. Il y a beaucoup plus de travail administratif qui est nécessaire aujourd’hui si vous voulez vous assurer que vous percevez l’ensemble des revenus auxquels vous avez légitimement droit. »
M. Oballa fait de la formation continue et de la collaboration au sein de l’industrie une priorité, et siège actuellement aux conseils d’administration de la CARAS et du Prix de musique Polaris. « Pour être un avocat-conseil efficace, je dois bien comprendre l’industrie, car les conseils que je donne en dehors du langage juridique dépendent aussi de la façon dont l’industrie fonctionne, mentionne-t-il. Je ne suis en aucun cas un expert du secteur de la musique, mais je le comprends suffisamment pour bien renseigner ma clientèle sur certains des processus qui sont importants pour la réussite de leur carrière. »
Après avoir déploré pendant des années l’absence de leaders noirs dans l’industrie de la musique, M. Oballa a cofondé ADVANCE, le collectif canadien des entreprises musicales noires, afin de contribuer à mettre en place une infrastructure permettant à un plus grand nombre de professionnelles et professionnels noirs de travailler dans le secteur, et d’y réussir.
« Lorsque le mouvement Black Lives Matter a pris de l’ampleur en raison des tragédies survenues aux États-Unis, il a fait resurgir de nombreux problèmes dont nous parlions depuis un certain temps, notamment la faible représentativité des Noirs dans l’industrie musicale sur le plan commercial, alors qu’une grande partie des revenus était générée par des artistes noirs ou de la musique noire, rappelle M. Oballa. Cela nous passionnait et nous voulions créer un organisme qui se concentre sur une meilleure représentation dans l’industrie. Au cours des trois dernières années, nous avons établi une communauté qui offre des services de mentorat et des ressources pour atteindre cet objectif. »
Bien que des initiatives comme ADVANCE contribuent à assurer une plus grande représentativité des Noirs dans l’industrie canadienne de la musique, le chemin à parcourir est encore long, selon lui. « Je pense que les chiffres sont bien meilleurs aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années. Sont-ils à la hauteur de ce qu’ils pourraient être dans tous les domaines de l’industrie ? Il y a toujours du travail à faire. J’ai eu récemment une conversation intéressante avec quelqu’un qui travaille dans le secteur depuis longtemps, et nous avons évoqué l’idée que, si le secteur existe, c’est, en fin de compte, grâce aux créateurs et créatrices. Nous gagnons tous de l’argent parce que d’autres personnes consacrent leur temps, leur énergie et leur passion à leur travail. Elles prennent un grand risque dans leur vie parce qu’elles ont un rêve », ajoute-t-il.
« Lorsque nous affirmons qu’il devrait y avoir plus de Noirs dans l’industrie musicale, ce n’est pas seulement parce que c’est une bonne chose et que c’est légitime, n’est-ce pas ? C’est parce que si un grand nombre d’artistes sont noirs et que l’on veut s’assurer de leur donner les meilleures chances de réussir, le fait de partager les mêmes repères culturels et un sentiment d’appartenance à la communauté est bon pour les affaires, au bout du compte. Si vous êtes bon en affaires, vous devez reconnaître la valeur de cela. »
Miro Oballa est également encouragé par la diversification des sons provenant du Canada — il aide à soutenir les artistes à l’origine de ces changements. « J’ai eu la chance de participer à l’essor des artistes et des auteurs-compositeurs sud-asiatiques. Les plus grands d’entre eux sont canadiens, et j’ai eu la chance de travailler avec certains et d’observer comment ils évoluent », explique-t-il, citant les artistes vedettes AP Dhillon, Tesher, Shinda Kahlon et Karan Aujla.
« Quand je pense à ma carrière, il y a certainement un certain nombre de choses pour lesquelles je peux me dire : “Voici quelques-unes des pierres de touche de la musique qui se sont produites au Canada au cours des quelque 20 dernières années, et je me dis que j’y ai contribué.” J’éprouve un grand sentiment de satisfaction. »
Pour en savoir plus sur Miro Oballa, visitez le site www.tomllawyers.com.
Pour en savoir plus sur ADVANCE, visitez le site www.advancemusic.org.