By Isabelle Speerin
Justin West s’est imposé comme une force vive de la scène musicale indépendante florissante du Canada, avec les sociétés Secret City Records et Secret City Publishing. Originaire de Montréal, Justin West a grandi dans l’industrie de la musique. Il a été inspiré par le succès de son père, Jim West, fondateur du label de jazz indépendant Justin Time Records.
En juin dernier, Jim West a été reçu membre de l’Ordre du Canada pour sa contribution à l’industrie musicale canadienne et pour avoir défendu les talents canadiens. Le label Justin Time s’est fait connaître avec la sortie du premier album de Diana Krall au début des années 1990. L’entreprise a également produit des albums de légendes du jazz comme Oliver Jones et le regretté Oscar Peterson.
« J’ai baigné dans l’industrie de la musique dès mon plus jeune âge, rappelle Justin West. J’ai accompagné mon père à des événements musicaux dans le monde entier, et c’est lui qui m’a appris les ficelles du métier. » Adolescent, il passait ses étés à travailler pour son père, à gratter des accords et à organiser des concerts locaux pour le groupe de rock de son école secondaire, Dogs Playing Poker. « J’aimais la musique, mais j’essayais aussi de trouver vraiment ce que j’avais envie de faire, explique-t-il. Je suis donc allé au cégep, puis à l’Université McGill, et j’ai touché un peu à tout. »
Il s’est avéré que Justin West aimait la comptabilité et a obtenu un diplôme avec mention en 2004. Mais son intérêt pour l’entreprise familiale ne s’est jamais démenti et, après un bref passage chez Ernst & Young en tant qu’auditeur, il est retourné travailler pour son père.
Une rencontre fortuite dans le métro de Montréal avec Patrick Watson, ancien copain du secondaire et auteur-compositeur-interprète, a été un élément déclencheur. « Patrick travaillait à un album et se plaignait de ne pas trouver de label pour l’accueillir, se souvient-il. Nous sommes donc allés voir son spectacle et nous l’avons beaucoup aimé. »
Secret City Records est donc née en même temps que le premier album de Watson, Close to Paradise. Ce fut une décision judicieuse.
Aujourd’hui, Watson connaît un succès mondial et l’équipe de Secret City, composée de 14 personnes, soutient un groupe diversifié et prospère de 32 auteurs-compositeurs-interprètes, autrices-compositrices-interprètes et artistes canadiens.
« Nous avons un catalogue restreint et ciblé, précise M. West. Ainsi nous ne sommes pas limités par le genre ou le format ni par des idées toutes faites. » Des créateurs et créatrices comme Alexandra Stréliski, Basia Bulat, The Barr Brothers, Bibi Club, Fernie, Flore Laurentienne, Jeremy Dutcher, Jesse Mac Cormack, Klô Pelgag, La Force, Leif Vollebekk, Patrick Watson et Shad ont tous élu domicile à Secret City. Il y a environ six ans, Secret City s’est efforcée d’enrichir sa programmation, alors principalement anglophone, afin de mieux refléter la diversité culturelle de Montréal.
« Il y a tellement de grandes œuvres et d’artistes au Québec : je ne veux pas m’enfermer dans une seule langue, dit-il. Nous avons maintenant un bel équilibre entre toutes les cultures, j’adore ça. »
Secret City publie presque tous les talents créatifs avec lesquels elle travaille du côté de l’enregistrement, un pilier fondamental de son modèle d’affaires.
« Nous pensons qu’il est préférable de contrôler nous-mêmes notre destinée de part et d’autre de l’équation, précise-t-il. Notre objectif est de contrôler l’intégralité d’une chanson chaque fois que nous le pouvons, car c’est important pour avoir toute la marge de manœuvre nécessaire. »
L’approche de West consiste à s’engager de manière globale avec un créateur ou une créatrice. « Nous ne sommes pas un éditeur traditionnel qui met sous contrat des auteurs ou autrices puis développe son catalogue, précise-t-il. Nous essayons de représenter la chanson, avec tout ce qu’elle englobe, seulement pour les créatrices et créateurs avec lesquels nous travaillons en lien étroit, et ce, dans toutes les facettes de la carrière. »
La CMRRA a toujours été la référence de Secret City en matière de redevances de reproduction mécaniques et en ligne au Canada, et plus récemment de licences de postsynchronisation.
« La perception des redevances est une question d’efficacité, et nous sommes toujours en train de voir comment changer les choses dans nos activités, affirme-t-il. La CMRRA offrait les meilleures options pour nous. »
Travailler avec Patrick Watson, s’internationaliser avec The Barr Brothers et l’incroyable succès de l’album Inscape d’Alexandra Stréliski, double disque de platine en 2018, compte parmi des temps forts mémorables de la carrière de West.
Mais selon lui, le succès ne se résume pas à des statistiques et des chiffres impressionnants. « C’est davantage une trajectoire liée à un ensemble d’expériences, confie-t-il. Le succès d’un projet et d’un créateur ou d’une créatrice est synonyme de tellement d’aventures et permet de vivre de nouvelles expériences, de créer des liens et des relations plus profondes et d’embaucher plus de personnel, ce qui signifie que l’équipe est plus grande et que tout devient plus intéressant. C’est tout cela en même temps. »
Inspiré peut-être par ses années de comptabilité, M. West estime que les créateurs et créatrices de musique sont des entrepreneurs pendant que lui se passionne pour la défense d’un écosystème musical indépendant sain.
« J’aime essayer de protéger la communauté, mais également la développer, explique-t-il. Il est important que l’écosystème indépendant soit florissant, car il maintient vivants l’art et la diversité, tout en contrôlant un peu le pouvoir. »
Il croit que l’un des défis auxquels sont confrontés les éditeurs aujourd’hui est le brouhaha qui règne sur le marché et la façon de construire des carrières durables.
« Aux dernières nouvelles, 130 000 titres étaient téléchargés chaque jour à partir de fournisseurs de services numériques. En tant qu’auteur-compositeur, comment assurer la pérennité d’une carrière ? Et si ce n’est pas viable pour un auteur-compositeur, comment ça peut l’être pour un éditeur ? » Selon lui, l’ère numérique n’a pas changé sa manière de travailler avec les créateurs et créatrices. C’est le type de discussion sur l’approche du marché qui a changé.
« Tout coûte plus cher que jamais, qu’il s’agisse de tournées ou de voyages en général, et nous discutons beaucoup avec les auteurs-compositeurs, les autrices-compositrices et les artistes de la diversification de leurs activités et de la recherche d’autres sources de revenus », dit-il.
Il rappelle également qu’il existe plus d’un moyen pour accéder au marché.
« Le monde est à vous : on peut tout faire si on a le bon réseau de distribution et de perception des droits, affirme-t-il. Avant, il fallait toujours avoir des partenaires dans les territoires étrangers alors que tout est, aujourd’hui, de plus en plus centralisé à l’échelle mondiale. Cela dit, si la promotion en ligne et sur les réseaux sociaux se fait à l’échelle mondiale, nous veillons également à ce que d’autres types de marketing tels que la presse, la radio, la vente au détail et les listes de lecture soient réalisés localement. Il faut trouver un juste milieu entre les deux. »
Justin West est vice-président de l’Association canadienne de la musique indépendante (CIMA) et siège actuellement au conseil d’administration de l’agence mondiale de droits numériques MERLIN et de la société de gestion collective des droits des producteurs d’enregistrements sonores et de vidéoclips Soproq. Il a également siégé aux conseils d’administration du Worldwide Independent Network, de l’ADISQ et de FACTOR. En 2016, il est le seul représentant de l’industrie de la musique nommé au sein d’un groupe consultatif créé par l’ancienne ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, pour renforcer la création, la découverte et l’exportation de contenu canadien dans un monde numérique.
Pour en savoir plus sur Secret City, visitez www.secretcityrecords.com.