par Tabassum Siddiqui
Pendant des années, les musiciennes ShoShona Kish et Amanda Rheaume se sont croisées à l’occasion de tournées et d’autres événements musicaux. Rapidement, elles se sont liées d’amitié et ont collaboré, mues par une même volonté de soutenir et de défendre leurs collègues artistes autochtones. Ces dernières années, ShoShona Kish lançait une idée ambitieuse : et si, dans ce but, elles créaient leur propre label ?
Lorsque la pandémie a frappé et que les confinements successifs ont mis un terme aux tournées, leur rêve est devenu réalité. Elles ont profité de cette pause pour fonder Ishkōdé Records, dont l’objectif est d’accroître le rayonnement des artistes, des chansons et des histoires autochtones dans le paysage musical au large. Le nom de leur label vient d’un mot anishinaabemowin, qui signifie « feu ». Depuis, la représentation autochtone trace sa voie dans l’industrie musicale.
« Il existait un grand vide dans l’industrie en ce qui a trait aux autochtones et aux espaces dirigés par des autochtones », explique Mme Kish, qui est issue de la communauté anichinabée et a cofondé le groupe Digging Roots, lauréat d’un prix JUNO, avec son partenaire Raven Kanatakta. « Amanda et moi avions travaillé ensemble au Sommet international des musiques autochtones et, en plus de nos tournées et de nos rencontres avec d’autres artistes sur la route, nous étions très conscientes du fait que tous ces artistes incroyables n’avaient pas le soutien qu’il fallait de l’industrie.
« La discrimination et le racisme sont toujours présents, et les artistes autochtones sont très peu représentés dans la communauté musicale au sens large », ajoute Amanda Rheaume, auteure-compositrice-interprète métisse primée. En faisant nos recherches, nous avons appris qu’aucun artiste autochtone n’avait jamais fait partie des palmarès des radios commerciales et qu’il n’y avait pas beaucoup d’artistes autochtones signés par de grandes maisons de disques. »
Outre Rheaume et Digging Roots, l’équipe actuelle d’Ishkōdé comprend les musiciens et auteurs-compositeurs montants Sebastian Gaskin, Morgan Toney et Aysanabee (qui, avec Rheaume et Digging Roots, est en nomination dans plusieurs catégories aux Prix solstice d’été pour la musique autochtone de cette année, présentés au Centre national des arts à Ottawa le 6 juin.
Professionnelles chevronnées de la scène musicale canadienne, Kish et Rheaume mettent à profit leurs 20 années d’expérience et leur parcours personnel pour créer leur label.
Toutes deux se souviennent d’avoir été inspirées par la musique dès leur plus jeune âge — ShoShona Kish se souvient d’avoir pleuré, alors qu’elle était toute petite, en écoutant les chansons émouvantes que sa mère lui chantait. Elle a ensuite appris la musique à l’école et auprès de son grand-père (un musicien qui avait participé à l’émission de variétés The Tommy Hunter Show, longtemps diffusée à CBC, aux côtés de sa femme, également chanteuse), qui lui a offert sa première guitare et lui a enseigné des accords de base.
Elle a commencé très jeune à écrire des chansons, à l’âge de 11 ans, pour s’exprimer. « C’était vraiment important pour mon développement et ma santé mentale pendant certaines des périodes les plus difficiles de ma vie, et cela m’a accompagnée, dit Kish. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi de continuer à jouer de la musique, même si je n’envisageais pas nécessairement d’en faire une carrière au début. »
Kish a étudié les beaux-arts et l’écriture créative pendant ses années de baccalauréat avant de retourner à l’université pour étudier la musique, puis de rencontrer son mari et de former Digging Roots.
Le chemin de Rhéaume vers une carrière dans la musique a également été favorisé en partie par un lien familial — en 1999, sa tante travaillait à la tournée de Lilith Fair, un groupe exclusivement féminin. À l’âge de 16 ans, Rheaume a eu la chance de rencontrer la fondatrice Sarah McLachlan et le duo folk émérite Indigo Girls, et a été invitée à monter sur scène pour se produire à l’occasion de la finale du groupe.
« Quand j’ai rencontré ces femmes et fait l’expérience de la scène, je me suis dit : Eh bien, c’est ce que je veux faire », se rappelle-t-elle.
Elle a commencé par jouer des reprises dans « tous les bars possibles et imaginables » d’Ottawa avant de commencer à écrire des chansons originales et de sortir ses propres albums.
En tant qu’artistes indépendantes, ShoShona Kish et Amanda Rheaume ont géré elles-mêmes presque tous les aspects de leur carrière et veillent à ce que leur label aide les artistes à surmonter les difficultés de l’industrie.
« On m’a certainement dit “non” la plupart du temps — et j’ai dû continuer à avancer et à croire en moi », affirme Rheaume.
Ishkōdé veut assurer une meilleure représentation des voix diverses — un mandat qui prend tout son sens alors que commence le Mois national de l’histoire autochtone et celui de la Fierté. Cette mission, Kish et Rheaume veulent qu’elle soit soulignée en tout temps.
« La musique est un moyen tellement fort pour représenter notre humanité. Je suis une artiste queer, métisse, je monte sur scène et je chante ma vérité — plus nous avons d’histoires et de chansons diverses qui circulent, plus nous sommes forts », dit Rheaume.
Pour défendre les artistes autochtones, il faut notamment s’assurer qu’ils ont le contrôle de leurs propres droits d’auteur. Ishkōdé s’est donc récemment associée à CCS Rights Management de Toronto — un client de la CMRRA — et à sa division Daytripper Music Publishing dans le cadre d’une coentreprise d’édition.
« C’est une nouvelle aventure que nous entreprenons, et nous sommes ravies de travailler avec des partenaires comme CCS et Daytripper — ils apportent toute une richesse de connaissances et d’expériences qui sont nouvelles pour nous, et nous apprenons beaucoup au fur et à mesure », souligne Kish, qui se produira avec Digging Roots à Inside the Song au Great Hall de Toronto le 6 juin, coprésenté par les Éditeurs de musique au Canada, la CMRRA et les Prix JUNO. « Je suis très motivée à l’idée de créer un espace sûr pour les artistes autochtones et de soutenir leur travail comme ils le méritent. Bien qu’étant autrice-compositrice professionnelle depuis près de 20 ans, j’en savais très peu sur l’édition, ce qui n’est pas rare dans l’industrie de la musique. Mais il y a tellement plus d’informations et de connaissances que nous pouvons acquérir en tant que communauté musicale pour nous assurer que les artistes connaissent leurs droits, qu’ils savent comment se débrouiller et qu’ils comprennent quelles sont les ressources et les possibilités qui s’offrent à eux. »
Amanda Rheaume renchérit : « Je pense qu’il est important que les artistes travaillent avec un partenaire d’édition en qui ils ont confiance et qui croit à la fois en l’œuvre et en l’auteur ou l’auteure; et non seulement dans son catalogue, mais également dans ce que cette personne a encore à créer. L’esprit que Jodie Ferneyhough [fondatrice et président de CCS Right Managements] et Jordan Howard [directeur de la création et des relations publiques de CCS] ont apporté m’incite à penser de cette manière également. Le fait de rappeler que tout tourne autour de la chanson elle-même est très important pour moi, en tant qu’artiste et entrepreneure, pour ce que nous essayons de faire ici, à savoir mettre en valeur les chansons d’artistes, d’auteurs et d’auteures autochtones. »
Avant même de fonder Ishkōdé, Kish et Rheaume avaient commencé à collaborer au Sommet international des musiques autochtones (IIMS), le seul événement mondial consacré à la sensibilisation, au partage de ressources et à la création de possibilités pour la communauté musicale autochtone.
L’événement de cette année — le premier IIMS autonome en personne — qui s’est déroulé du 31 mai au 4 juin à l’Allied Music Centre et au Massey Hall de Toronto, a rassemblé des musiciens autochtones, des membres de l’industrie, des personnalités de la communauté et des anciens de Turtle Island et du monde entier pour des séances de réseautage, des tables rondes, des cérémonies et plus de 40 spectacles musicaux.
« Au départ, il s’agissait d’un rêve, celui de réunir des gens, et il s’est développé très rapidement », explique Kish, qui est la directrice artistique de l’IIMS, tandis que Rhéaume en est la directrice des opérations. « J’espère que nous pourrons contribuer à créer un espace pour catalyser des conversations vraies et courageuses sur la manière d’évoluer ensemble. »
Alors qu’elles continuent de faire grandir leur label, Kish et Rheaume tiennent toujours compte du pouvoir de l’engagement — qu’il s’agisse de cultiver des échanges authentiques dans les médias sociaux, de la façon dont les artistes communiquent avec les autres membres de l’industrie ou de s’inspirer de leurs racines autochtones pour placer la communauté au cœur de leur travail.
« Nous pensons beaucoup à la découverte et à la qualité de l’engagement, explique Kish. Pour nous, il importe d’établir des relations réelles, honnêtes et courageuses, et de faire connaître la musique autochtone à un public et à des communautés plus vastes. Plus nos relations sont fortes, plus nos communautés sont fortes et plus l’industrie est forte et, en fin de compte, mieux nous pouvons servir la musique et les artistes.
« ShoShona et moi accomplissons toutes les deux tout ce travail, mais quand nous allons discuter avec nos partenaires, cet échange nous entraîne dans un mouvement vers l’avant qui est chaleureux et qui ouvre l’horizon, ajoute Amanda Rheaume. C’est vraiment ce vers quoi nous avons travaillé — le mot “engagement” et l’action de s’engager semblent donc être la clé donnant accès à ce que nous construirons ensemble dans l’avenir. »
Pour en savoir plus sur Ishkōdé Records, visitez le site www.ishkoderecords.com.