Par Isabelle Speerin
De l’improvisation au Festival Express à la direction d’un label, James Campbell est l’un des défenseurs les plus respectés de l’industrie de la musique canadienne émergente.
Ancien artiste lui-même, Campbell passe son adolescence à la tête des Spasstiks, un groupe qui s’est fait un nom sur la scène musicale dynamique de Yorkville, à Toronto, à la fin des années 1960. Leur son pop-rock mélodique attire l’attention du producteur de disques canadien Jack Richardson, qui a fait signer le groupe, rebaptisé Cat, chez Nimbus 9 et RCA Records en 1968.
Richardson et son protégé, Bob Ezrin, travaillent ensemble à la production du premier disque de Cat à Chicago. « Notre groupe était le tout premier que Bob produisait », précise Campbell.
Les membres de Cat se séparent finalement et Campbell a la chance de joindre les rangs de l’industrie par l’intermédiaire d’un ancien collègue de Nimbus 9 qui cherche à pourvoir un poste de directeur artistique (A&R) junior. « Il m’a demandé si je voulais travailler dans le secteur de la musique », se rappelle-t-il. J’avais 25 ans, je chantais des jingles à l’époque, et j’ai répondu : « Oui, bien sûr ».
Campbell entre chez WEA Canada, aujourd’hui Warner Music Canada, en tant qu’assistant A&R. Sa principale tâche consiste à évaluer les démos soumises et à proposer les meilleures d’entre elles.
Il passe les huit années suivantes chez WEA, où il s’occupe pendant un temps de la promotion et des relations avec les artistes, avant de revenir à la tête du service A&R. « Malheureusement, nous avons eu peu de succès en tant qu’entreprise de création, parce que la machine était alors très axée sur notre catalogue international et nos superstars », explique-t-il.
Au début des années 1980, Campbell se joint à RCA Records pour diriger le service du développement des artistes et le marketing, un rôle qui lui a permis de découvrir sa passion pour la croissance des artistes canadiens, autant au niveau national qu’international. « Lorsque RCA est devenu BMG, je me suis orienté vers un rôle plus axé sur les artistes nationaux, avec le volet international qui a suivi », affirme-t-il.
M. Campbell passe 22 ans à BMG, dont les cinq dernières années en tant que premier vice-président international de RCA à New York. Pendant cette période, il a l’occasion de travailler avec une grande variété d’artistes, y compris de grands groupes internationaux tels que Foo Fighters, Dave Matthews Band et Christina Aguilera, après avoir déjà développé les groupes canadiens Crash Test Dummies et Cowboy Junkies, qui ont connu un succès mondial. « Ces deux groupes sont toujours en tournée internationale aujourd’hui, près de 40 ans plus tard », fait-il remarquer.
Lorsque le secteur de la musique prend un tournant en 2003, M. Campbell rentre au pays pour s’occuper personnellement des gagnants de l’émission de télé-réalité Canadian Idol. « L’occasion s’est présentée, car j’avais travaillé pendant de nombreuses années avec Simon Fuller et je connaissais Simon Cowell depuis longtemps en tant que consultant A&R à BMG UK », explique-t-il.
Lorsque l’émission Idol s’arrête, Campbell renoue fortuitement avec Gary Slaight (ils étaient partenaires promotionnels régionaux chez WEA au milieu des années 1970). Gary Slaight et Derrick Ross viennent alors de lancer une société de musique pour encadrer, développer et soutenir les talents canadiens. « Gary m’a demandé si j’aimerais y participer, et c’est ainsi que je m’occupe de l’A&R et de l’édition musicale de Slaight Music depuis 2013 », explique-t-il.
Véritable incubateur d’artistes, Slaight Music a lancé ou accompagné la carrière de plus de 40 jeunes artistes et groupes canadiens depuis 2011.
M. Campbell décrit la division d’édition de Slaight comme étant une boutique au mieux. « Nous avons environ 1 100 chansons à ce jour et seulement deux auteurs-compositeurs à temps plein, nous a-t-il révélé. Le reste de notre répertoire est composé de six à neuf auteurs que nous développons également sur le plan artistique. »
Bien que Slaight Music travaille en étroite collaboration avec son partenaire indépendant Hidden Pony Records, la société aspire également à s’associer avec des artistes en développement et à les proposer en amont aux grands labels et à d’autres maisons de disques indépendantes, ce qu’elle a fait par le passé avec Washboard Union (Warner), Theo Tams (Warner), Kayla Diamond (Cadence), Notifi (Sony), Moscow Apartment — désormais appelé Housewife (Hazel Street) — et Jillea (Universal). Le fichier actuel de Hidden Pony comprend Roslyn Witter, Ryan Langdon, Theo Tams et New Friends.
Contrairement à la plupart des éditeurs, Slaight ne cherche pas à acquérir des catalogues. Campbell est plus intéressé à travailler avec des auteurs-compositeurs et auteures-compositrices de notre patrimoine national, comme Patricia Conroy, sept fois lauréate du Canadian Country Music Award (CCMA), qui est établie à Nashville.
« Nous voulions développer des artistes country et nous avons pensé qu’il était important d’avoir l’un d’eux sur le terrain à Nashville, et c’est ce qui est arrivé avec Patricia », explique-t-il.
Conroy a coécrit plus de 40 titres d’artistes pendant qu’elle travaillait pour Slaight Music Publishing, notamment le tube américain numéro 1 Champagne Night pour Lady A ainsi que Working on Whiskey de Jessica Mitchell, également enregistré par Trisha Yearwood.
« Nous avons également un auteur du patrimoine ici, du côté de la country, qui était une grande star dans les années 1990 et qui s’appelle Jim Witter. »
En 2020, M. Slaight conclut une entente de trois ans avec Reservoir Media, un client de la CMRRA, pour gérer l’administration, synchroniser les placements et apporter un soutien créatif. « Cela fonctionne très bien, souligne-t-il. Nous bénéficions du soutien total de leurs bureaux de création, de leurs divisions de synchronisation et des services administratifs, qui nous aident à tout mettre en ordre. »
En tant que directeur de label à long terme, manager personnel à court terme et éditeur à plus court terme encore, Campbell reconnaît que la CMRRA l’a aidé à naviguer dans les rouages et les complexités de l’édition musicale. « La CMRRA est une ressource extrêmement précieuse, dit-il. Il y a cinq ans, je ne pouvais pas définir ce qu’était une licence mécanique, et on m’a vraiment aidé. »
Interrogé sur les enjeux auxquels l’industrie est confrontée, M. Campbell souligne la pression croissante exercée sur les artistes, les auteurs et auteures pour qu’ils créent du contenu dans les médias sociaux afin d’interagir avec leurs fans.
« L’industrie doit changer et revoir certains aspects de l’ancien modèle d’affaires, qui permettait aux artistes de faire ce qu’ils sont censés faire, c’est-à-dire créer, précise-t-il. Aujourd’hui, on consacre tellement de temps à la création de contenu et à l’engagement que plus personne n’a le temps de créer, que les artistes ne vont pas au maximum de leurs aspirations.
Le passage de l’analogique au numérique dans la musique s’est également avéré une arme à double tranchant pour de nombreux professionnels de l’industrie qui ont grandi avec les vinyles, les cassettes et les CD.
« Lorsque je travaille aujourd’hui avec des créateurs et créatrices, j’ai affaire à un processus d’enregistrement complètement différent de celui avec lequel j’ai grandi et qui a guidé ma carrière, explique M. Campbell. Le processus d’enregistrement numérique est à la fois une bénédiction et une malédiction, car je n’aime pas toujours le paysage sonore moderne qui en résulte. »
Selon Campbell, l’ère numérique a également eu une incidence sur les créateurs et créatrices en raison du facteur niche. « Aujourd’hui, on a l’impression qu’il n’y a que des superstars, et puis tous les autres, déplore-t-il. Il y a beaucoup trop de musique qui sort chaque jour, ce qui, à mon avis, n’est pas judicieux pour notre industrie ou pour le consommateur. »
Ses conseils aux créateurs et créatrices qui cherchent à développer leur base de fans ? La vérité, l’honnêteté et le dialogue. « Je veux m’engager auprès d’un auteur-compositeur ou d’un artiste, et je veux que les gens considèrent notre liste d’artistes comme de vraies personnes », a-t-il déclaré.
Campbell vit à Toronto avec sa femme Ulla. Il a deux filles adultes et trois petits-enfants.
Pour en savoir plus sur Slaight Music, visitez www.slaightmusic.com.