par Isabelle Speerin
Il y a quatre ans, Amy Eligh a fait un saut dans le vide et accepté un nouveau poste : directrice de la division de l’édition musicale et des licences d’Arts & Crafts, une société de services artistiques spécialisée établie à Toronto. « C’était une belle occasion d’élargir mes compétences, dit-elle. Je ne toucherais plus seulement aux aspects créatifs; j’avais la chance de diriger une maison d’édition et d’en apprendre tous les aspects. C’est ce que j’avais toujours voulu faire. »
Arts & Crafts a fait son apparition sur la scène musicale du pays il y a près de 20 ans. La maison a soutenu la montée du rock indé, avec des artistes canadiens comme Broken Social Scene, Feist et Stars. Dans les dernières années, elle a étendu son répertoire trié sur le volet à de nouveaux genres, comme le hip-hop et le néo-classique.
« La majorité des artistes de notre répertoire sont canadiens, indique Eligh. Nous estimons qu’il est très important d’avoir des relations avec des artistes et des auteurs-compositeurs d’ici et nous voulons les soutenir. »
Petite mais agile, Arts & Crafts se démarque par le fait qu’elle est l’une des rares maisons de disques alimentées essentiellement par des artistes qui sont également auteurs-compositeurs. « Nous n’avons pas réellement de catalogue, mentionne Eligh. Tous les auteurs-compositeurs avec lesquels nous travaillons sont dans le milieu, au Canada ou aux États-Unis. Ils sont encore jeunes, encore actifs et ils ont encore une influence. »
En plus de représenter les œuvres du collectif Broken Social Scene, le label compte dans son répertoire Jordan Klassen, Aaron Allen, Josh Ronen, Dan Mangan, Connor Price, Old Man Saxon, The Northern Pikes, Fleece, Noah Reid, Thom D’Arcy, Molly Johnson, Taylor Knox, Jason Collett, Lo Talker, Wine Lips, Megan Bonnell, Absolutely Free, Do Make Say Think, Laroie, Sarah MacDougall, Theo Alexander, Farideh, Evan Arntzen, Emma Beko, Caleb Chan, Brian Chan et le pianiste néo-classique Jean-Michel Blais, notamment.
Arts & Crafts représente également les œuvres solos du regretté Gord Downie, auteur-compositeur-interprète et chanteur du groupe rock canadien à succès The Tragically Hip. Si bon nombre des compositions de Downie sont bien ancrées dans la société canadienne, Eligh a en tête un album extrêmement percutant qui a braqué les projecteurs sur une période sombre de l’histoire canadienne et qui a par la suite été mis au programme dans de nombreuses écoles du pays.
« Secret Path de Gord Downie a mis en lumière les atrocités vécues par les enfants autochtones dans les pensionnats et par leurs familles. Le talent de conteur de Gord, ainsi que son attachement au changement et à la responsabilisation ont lancé un véritable mouvement, et je l’admire d’avoir insisté pour attirer l’attention de la population canadienne. »
Lancé en 2016, Secret Path est un album composé de 10 poèmes magnifiques écrits et mis en musique par Downie. Les poèmes racontent l’histoire de Chanie Wenjack, un garçon anishinaabe de 12 ans qui est mort de faim et d’exposition aux conditions climatiques impitoyables après s’être échappé d’un pensionnat près de Kenora, en Ontario. Suscitant un tollé à l’échelle nationale, son décès en 1966 a mené à la première enquête sur le traitement des enfants autochtones au sein des pensionnats au Canada. Tous les produits des ventes de l’album sont versés au Fonds Secret Path Gord Downie pour la vérité et la réconciliation.
Le parcours d’Eligh vers l’édition musicale commence à Belleville, en Ontario. « J’avais un professeur de musique extraordinaire. J’étais très mauvaise à la clarinette, alors j’ai essayé tous les autres instruments dans la pièce. Bizarrement, ça a fonctionné avec le trombone », s’esclaffe-t-elle.
Poursuivant le rêve de devenir musicienne et de faire partie d’un orchestre maison, Eligh déménage à Toronto pour étudier l’interprétation jazz au Collège Humber. « J’ai joué du trombone dans quelques groupes, mais j’ai découvert que j’étais atteinte du syndrome algodysfonctionnel de l’appareil manducateur, un trouble de l’articulation de la mâchoire, qui a beaucoup empiré pendant ma dernière année d’étude. »
Après avoir subi sans succès une chirurgie, Eligh obtient son diplôme du programme et s’inscrit au programme des arts de l’industrie de la musique du Collège Fanshawe. « Pendant la première semaine, j’ai pensé décrocher, mais le professeur Terry McManus m’a parlé de l’édition musicale et j’ai trouvé que c’était fascinant parce qu’elle touche à tous les aspects de l’industrie de la musique, dit-elle. Je sentais que l’édition me permettrait d’acquérir toutes sortes de compétences et de ne jamais m’ennuyer. »
Par l’intermédiaire du programme du Collège Fanshawe, Eligh trouve un stage chez Casablanca Media Publishing/Red Brick Songs, qui l’embauchera ensuite à temps plein en 2005. Elle passera plus de 10 ans au sein de l’entreprise, d’abord dans l’équipe des redevances et des droits d’auteur, puis comme directrice des synchronisations et des services créatifs.
Eligh n’hésite pas à reconnaître le rôle que les femmes talentueuses qui ont été ses mentores et ses collègues ont joué pendant toute sa carrière. Elles l’ont aidée à devenir l’éditrice qu’elle est aujourd’hui. « C’est tellement important que les femmes se soutiennent entre elles, confie-t-elle. En particulier dans le monde de l’édition, car peu de gens comprennent ce que nous faisons. Chez Arts & Crafts, je compte beaucoup sur le soutien de ma collègue Chloe Benner, qui veille à ce que tout fonctionne rondement. »
Eligh passe ses journées à rédiger des contrats, à présenter des chansons, à organiser des occasions de co-écriture pour des auteurs-compositeurs, à former des auteurs, à tenir des camps et à rechercher de nouveaux talents. « Je suis très, très chanceuse, mon travail est extrêmement varié. Ça fait 16 ans que je suis là et j’apprends encore de nouvelles choses tout le temps, c’est formidable. »
En mars 2021, la CMRRA a piqué l’attention d’Eligh lorsqu’elle a lancé ses services de redevances internationales, en partenariat avec la Mechanical Licensing Collective (MLC) pour le marché américain et IMPEL, établie à Londres, pour les marchés autres que nord-américains. Ces services permettent aux éditeurs de musique et aux auteurs-compositeurs indépendants d’inscrire leur répertoire et de le faire administrer par la CMRRA afin de percevoir des redevances de reproduction mécanique numérique dans ces nouveaux territoires. Voilà un autre exemple de l’évolution des services du milieu de la musique pour aider les entreprises à gérer un nombre croissant de données.
Arts & Crafts a demandé à la CMRRA d’administrer ses redevances avec la MLC. « Nous sommes une petite équipe qui se consacre essentiellement à la création, dit Eligh. La CMRRA a fait de l’excellent travail quant aux redevances pour la reproduction mécanique numérique au Canada. Nous avons donc pensé que nous pourrions lui faire confiance pour la perception auprès de la MLC aux États-Unis. »
Eligh est membre du conseil d’administration d’Éditeurs de musique au Canada depuis 2018 et vice-présidente du conseil de FACTOR, qui offre du soutien financier à l’écosystème de la musique canadienne. Elle vit à Pickering, en Ontario, avec son mari Ryan Eligh, un musicien et concepteur sonore primé.
#dINFLUENCE Les éditeurs sont au cœur de l’industrie de la musique. En 2021, nous présenterons 11 d’entre eux. Nous parlerons aussi de chansons. Nous sommes conscients qu’il n’existe pas de mesure universelle pour quantifier le succès d’une chanson; c’est pourquoi nous aborderons toutes les façons inimaginables de quantifier leur influence — des chansons qui ont déclenché des révolutions, lancé des mouvements, été catalyseuses de changements, donné naissance à des histoires d’amour ou qui ont tout simplement été une source d’inspiration.
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