De Riot grrrl à la défense des redevances, Molly Neuman a toujours eu son franc-parler.
Par Isabelle Speerin
Certains connaissent la présidente de Songtrust, Molly Neuman, comme une pionnière du mouvement féministe Riot grrrl dans les années 1990, mais son militantisme ne s’est pas arrêté là. Des dizaines d’années plus tard, elle porte toujours la cause des créatrices et des créateurs.
À l’exception d’une courte période où elle a vécu en Californie, Molly Neuman est née et a grandi à Washington. Ses deux parents travaillaient pour le Congrès et adoraient la musique. « La politique a toujours été présente pendant ma jeunesse et j’ai toujours été intéressée par ce qui se passait dans le monde », confie-t-elle. Pendant son enfance, elle joue du piano et suit des cours de chant. À l’adolescence, elle est obsédée par les groupes rock new wave et alternatifs des années 1980 et rêve de devenir actrice.
Molly déménage par la suite à Eugene, pour étudier à l’Université de l’Oregon, où elle suit des études de premier cycle en arts, avec concentration en cinéma documentaire et théories féministes. « À Washington, au secondaire, je ne faisais pas vraiment partie de la scène punk, dit-elle. C’est ironiquement en Oregon que j’ai découvert ces groupes et que je les rencontrais en tournée. » Si elle passait ses nuits à assister à des spectacles, elle passait ses journées à étudier le militantisme, la justice sociale, les études ethniques et les difficultés institutionnelles auxquelles se butent les membres des cultures non dominantes.
Molly fonde ensuite un groupe punk féministe avec sa voisine de dortoir pour mettre en lumière le manque de visibilité des femmes dans le milieu de la musique. Si la représentation des femmes s’est améliorée depuis, elle constate toujours des écarts dans le volume et les ratios : « Si ceux qui écrivent les chansons sont inspirés par des gens qui ont toujours le même profil démographique et la même dimension, c’est très, très difficile de casser le moule. »
C’est en 1994 que Molly traverse du côté commercial de la musique. Elle entre alors au service de Lookout Records, une maison de disques punk indépendante à qui l’on doit les deux premiers albums de Green Day. « J’ai commencé au service de la promotion, puis j’ai travaillé un peu à la division A&R, j’ai collaboré avec des groupes pour les aider à produire leurs disques », rappelle-t-elle. En 2006, lorsque les activités de Lookout Records commencent à ralentir, elle quitte la maison pour occuper successivement des postes de direction à eMusic, Rhapsody International, à l’American Association of Independent Music et, plus récemment, à Kickstarter, où elle est directrice de la musique.
En décembre 2017, Molly accepte le poste de directrice mondiale du développement des affaires chez Songtrust. Elle dirigera l’équipe des ventes, de la promotion et de l’expansion commerciale pendant deux ans. En novembre 2019, elle est promue présidente. Elle est chargée de l’encadrement des activités courantes de l’entreprise, de l’expansion internationale et de l’innovation dans la perception de redevances.
Justin Kalifowitz, chef de la direction de Downtown Music Holdings, a cofondé Songtrust avec Joe Conyers III en 2011, guidé par une seule vision : simplifier la gestion des droits musicaux et la rendre simple, abordable et accessible à tous. Le modèle commercial unique en son genre de l’entreprise est uniquement axé sur l’administration. Pour une somme symbolique, les créateurs peuvent avoir accès à un réseau mondial tout en conservant le plein contrôle de leurs droits sur leurs chansons.
« Les principales activités de Songtrust sont l’enregistrement, la résolution ainsi que la perception et le paiement de redevances, explique Molly Neuman. Nous n’offrons pas de services de création ni les autres services que beaucoup d’éditeurs classiques offrent. »
Manifestement, la formule fonctionne. À la fin de 2019, l’entreprise connaît une croissance record, les perceptions de redevances faisant un bond de 250 % par rapport à la fin de 2018.
Créée à New York où elle a son siège social, Songtrust a rapidement pris son envol : elle emploie maintenant 80 personnes dans neuf bureaux établis en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. De nos jours, l’entreprise administre plus de deux millions de chansons et représente quelque 300 000 auteurs-compositeurs. Elle a des relations directes avec une cinquantaine d’organismes d’octroi de licences pour l’exécution, ainsi que de licences mécaniques et numériques partout dans le monde, y compris la CMRRA.
« La CMRRA est un partenaire indispensable pour la perception des redevances mécaniques, souligne Molly Neuman. Nous avons établi une relation très positive et fructueuse au fil du temps. » Interrogée sur les incidences de la COVID-19 sur l’industrie, elle cite un récent article du magazine Rolling Stone, qui prévoit une croissance accélérée des créateurs indépendants.
« Nous observons des indicateurs positifs chez Songtrust aussi, dit-elle. Mais nous ne faisons pas de prédictions sur ce que ça signifie, car il reste beaucoup d’inconnues. » Neuman mentionne que la fragmentation des données, l’attribution des droits et les risques de conflits constituent les principaux écueils avec lesquels l’industrie doit composer.
« Différentes personnes blâment différents maillons de la chaîne, mais tout commence par la volonté de collaborer, le contenu des contrats ainsi que la documentation et l’enregistrement appropriés des droits. » Neuman est encouragée par le fait que les auteurs-compositeurs et les producteurs ont de plus en plus les moyens de conserver le contrôle créatif de leurs œuvres, mais elle croit « qu’il y a encore beaucoup d’inégalités entre les revenus que les créateurs tirent de leurs œuvres et les revenus de ceux qui les mettent en marché ».
Elle poursuit : « De nos jours, un auteur-compositeur qui veut posséder ses œuvres et qui ne veut pas être tributaire de tiers ni laisser d’autres personnes avoir des incidences sur ses droits a bien plus de chances d’y arriver que dans le passé. »
En ce qui concerne l’avenir, Molly reste déterminée à aider les créateurs à accéder au portrait complet de l’état de leurs redevances : « Nous défendons l’accès aux redevances et leur distribution équitable afin d’entendre de moins en moins d’histoires tristes au sujet de comptes non appariés, non réclamés ou non attribués, et d’accroître l’exactitude et la précision dans ce secteur. »
Interrogée sur la valeur d’une chanson, Molly Neuman répond qu’il s’agit d’une question complexe, mais elle revient aux titulaires de droits : « C’est difficile à évaluer, en particulier lorsque l’argument de la valeur patrimoniale entre en jeu. Composer une chanson, c’est s’exprimer. Il serait donc faux de dire que la valeur d’une chanson est principalement financière, mais il y a tellement de facteurs en présence. Par exemple, comment calculer la valeur d’une chanson qui n’a jamais été lancée ? Dans l’ensemble, je dirais que la valeur d’une chanson peut uniquement être déterminée par ses titulaires de droits, puisque ce sont eux qui connaissent le mieux la création, la signification et l’utilisation de la chanson. »
Molly Neuman est membre des conseils consultatifs de Music Business Association et de Women in Music. Auparavant, elle a fait partie des conseils de SoundExchange et de A2IM. Elle a été nommée par Billboard dans ses listes Women in Music Top Executives (Femmes en musique : principales chefs de file) en 2019 et Digital Power Players (Excellence en numérique) en 2018.
Elle habite Brooklyn avec sa famille.
Vous songez à devenir client de la CMRRA? Déjà client mais vous avez des questions? Envoyez-nous un courriel à [email protected] et nous vous obtiendrons les réponses dont vous avez besoin.